la baule+ Février 2023 // 19 sujet de nombreux débats. Donnez-moi un exemple… Par exemple, la défense de la vie que l’on retrouve chez tous les croyants… J’ai une foi, mais je ne suis pas croyant. Je n’ai pas chassé l’idée de spiritualité dans ma vie. Je ne sais pas de quelle nature elle est faite, mais elle n’est pas dans le sens qui était interprété par ma mère. Ce monde est assez étonnant. Il est magique, il est inexplicable... C’est ma spiritualité. Quand vous évoquez ces choses à respecter, je pense que c’est une phrase dangereuse. Je ne suis pas d’accord : c’est plutôt certains imams, certains curés et certains rabbins qui me diront cela, mais pas tous. Ces gens ne m’intéressent pas et je pense qu’ils sont dangereux, car la pureté est souvent le premier pas vers la guerre. Que signifie la pureté ? Je suis la fusion de plusieurs pays ou régions, c’est ce qui me plaît. C’est cette impureté qui est la plus belle. C’est-àdire accueillir dans ma vie des gens qui ont des histoires différentes et des croyances différentes, tout en faisant en sorte que ma croyance puisse perdurer parce que, justement, elle se mélange aux autres croyances. La croyance unique me semble très dangereuse car, après, on voit tous les jours ce qui se passe. Je veux défendre ceux qui pensent d’abord aux autres. Quelle est la part d’autobiographie dans ce film ? Ma mère a déclenché cela. Elle est morte pendant le montage du film. Nous nous aimions, mais j’avais beaucoup de mal à parler avec elle. Dans ce monde, le respect de ces 613 commandements exige que l’on observe certaines règles, que je ne veux pas piétiner et que je considère même comme passionnantes. Mais j’essaye de les relire autrement, en ayant une lecture un peu moins patriarcale. D’ailleurs, c’est le grand danger des trois religions monothéistes, il faudrait un peu plus de sensibilité féminine dans la lecture de ces textes saints. Il faut surtout lire ces textes à la lumière de ce que l’histoire des mondes, des guerres et de la politique nous a donné à voir. On voit bien que cela ne marche pas. On s’accroche à des religions, comme si c’étaient des boucliers, pour cacher la misère de tant de choses. Réformer est un mot qui fait peur, mais on peut repenser ou requestionner des textes. Dans le film, en sortant, Esther ne va pas devenir totalement laïque ou chrétienne, peu importe, mais elle va poser des questions. Le film pose beaucoup de questions, mais il n’apporte pas de réponses. La plus belle réponse, c’est la question qui va venir. J’essaye de toujours trouver un moyen de chercher, de fissurer les murs. Dans le film, mon agriculteur, Elio, fissure sa terre, alors qu’il a renoncé à une vraie vie à Rome. Le plus dur dans la vie, c’est de tourner sa chaise pour se mettre dos à ce que l’on a reçu. Ce n’est pas tourner le dos, mais prendre ce que l’on a reçu pour s’en servir et capitaliser et ouvrir de nouvelles portes, sans être dans la répétition à l’identique. Cette attente de spiritualité ne s’inscrit-elle pas au cœur de notre époque ? Bien sûr, parce que justement tout se fissure en ce moment. Toutes les autorités qui nous entourent et qui nous tiennent essayent de colmater ce mur, alors qu’il faudrait que les choses se fissurent. C’est formidable d’engager des discussions à travers le cinéma, la littérature ou les médias. Nous sommes dans un moment où le monde se fissure, ce n’est pas un mur qui s’écroule : on doit simplement comprendre que l’on doit voir la fissure, sinon le mur va s’écrouler. Derrière toute fissure, il peut y avoir de la lumière. (Suite page 20)
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