La Baule+

la baule+ 18 // Février 2023 Cinéma ► L’acteur présente à La Baule son premier long-métrage en tant que réalisateur Stéphane Freiss : « Derrière toute fissure, il peut y avoir de la lumière. » C’est à l’initiative de l’équipe du Festival du cinéma et musique de film de La Baule que l’acteur Stéphane Freiss est venu présenter, samedi 28 janvier, son premier long-métrage en tant que réalisateur. Intitulé « Tu choisiras la vie », ce film est programmé dans les salles tout au long de ce mois de février. Il raconte la rencontre de deux êtres prisonniers de leur propre condition qui vont apprendre au contact de l’autre. Une famille juive orthodoxe se rend chaque année dans une ferme du sud de l’Italie afin d’accomplir une mission sacrée : la récolte des cédrats. En pleine remise en cause des contraintes imposées par sa religion, Esther fait la connaissance d’Elio, le propriétaire des lieux. Et si le face-à-face entre ces mondes différents était la genèse d’une autre histoire ? La Baule + : Le film raconte l’histoire d’une famille juive orthodoxe qui part dans le sud de l’Italie afin d’accomplir la récolte des cédrats. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste ce commandement de Moïse ? Stéphane Freiss : Au départ, je voulais présenter deux êtres qui sont complètement différents, l’un accroché à la terre, l’autre au ciel. Ces personnes représentent tous les possibles. Il y a des agriculteurs d’un côté et des religieux de l’autre. Mais l’agriculteur est un artiste qui a été obligé de s’arracher à sa passion et à son destin, et l’héroïne comprend qu’elle est prisonnière de sa foi, telle qu’elle est vécue dans les mondes orthodoxes. Ces gens se retrouvent en Italie parce que, chaque année, de nombreuses familles juives viennent y chercher ce citron très particulier. Il est écrit dans la Bible que Dieu aurait demandé à Moïse d’envoyer des messagers en Calabre - c’est dans le Talmud - pour cueillir ce fruit et le ramener ensuite en Terre sainte. Les érudits disent que le fruit de l’arbre de la connaissance qui est dans le jardin d’Éden n’est pas la pomme, mais ce citron. Je mets mes personnages dans cette capacité à transgresser, c’est-à-dire à sortir de la route. Et c’est parce qu’ils sont sur le point de sortir de la route, que leur route commence réellement. La sortie de route, c’est encore la route. C’est le sujet de mon film. Ce citron est un personnage important de mon film, puisque c’est lui qui fait venir ces gens. C’est le citron qui va permettre à cette jeune femme de rencontrer cet agriculteur qui est dans un moment de grande galère, en raison des conditions climatiques qui sont très difficiles. Si cet agriculteur n’avait pas ces juifs religieux, il s’écroulerait. J’ai d’ailleurs rencontré ces agriculteurs. Donc, pour eux, c’est une bénédiction que ces religieux continuent de perpétuer cela. Ce citron a une symbolique religieuse et une symbolique agraire. C’est une opposition qui m’amuse. Au départ, je ne voulais pas faire un film religieux, ou un film juif, mais un film qui touche tout le monde autour de ces questions : que fait-on de ce que l’on nous a donné ? Que faire quand toutes ces choses qui ne nous appartiennent pas ont un poids trop lourd ? Je précise que les critères de sélection de ce citron sont complètement absurdes. Ce que je présente au début du film est totalement réel : la forme doit correspondre à certains critères et il ne doit pas y avoir de taches. Tous les religieux ne vont pas forcément chercher les cédrats en Italie, il y en a en Israël ou au Maroc par exemple. Ce n’est pas un commandement, mais une interprétation et ceux qui sont très croyants pensent qu’il faut aller en Calabre pour honorer Dieu. Tout ce sacrifice est incroyable, car cela demande beaucoup d’argent, un long déplacement, pour quelque chose de totalement symbolique, puisqu’ils vont avoir ce citron dans la main au moment de leurs prières, pendant une semaine, avant qu’il finisse dans une poubelle. Ce citron coûte entre 20 et 30 euros lorsqu’il est acheté sur place, mais quand il est revendu dans les communautés, cela peut monter jusqu’à 500 euros. Elle se tourne vers Dieu pour lui demander de l’aider à l’abandonner Vous indiquez qu’il ne s’agit pas d’un film religieux. Toutefois, il s’en dégage une forte spiritualité : d’une part, chez l’agriculteur italien qui tient à sa terre parce que c’est son histoire, d’autre part chez Esther, car bien qu’elle se plaigne d’étouffer, elle garde quand même Dieu au fond d’elle… Je suis acteur depuis 40 ans et l’on ne fait jamais dire aux personnages toute la vérité tout le temps. Esther écrit dans sa lettre à son père, en quelques lignes, qu’elle n’arrive plus à donner un sens à tout ce qu’elle vit et que cette répétition de gestes et de prières l’étouffe. C’est pour cette raison qu’elle dit rapidement qu’elle a perdu la foi. En réalité, je ne pense pas qu’elle ait perdu la foi. En atteste la scène qu’elle a avec Dieu, qui est finalement la seule entité avec laquelle elle peut s’entretenir. Elle se tourne vers Dieu pour lui demander de l’aider à l’abandonner. Je connais ces gens et, quand toute votre vie, du matin au soir, tient autour de cela, à un moment donné cela devient insensé. Malheureusement, quand ces gens quittent ces milieux, ils finissent très mal, certains sous les ponts, d’autres se suicident. Ces gens sont déconnectés du monde et c’est cette passerelle qu’ils vont traverser le temps du film. Vous auriez pu faire le même film avec des mormons ou des intégristes musulmans… J’aurais même pu faire ce film en présentant une famille catholique traditionaliste d’extrême droite. Le problème serait exactement le même. J’ai rencontré une dame qui avait les larmes aux yeux et qui m’a avoué que c’était sa vie. Elle semblait être maghrébine, elle était bouleversée, elle était précise sur chaque mot. Elle m’a raconté son histoire. Elle est tombée amoureuse d’un homme qui n’était pas accepté par sa famille et elle s’est arrachée à ses racines. Elle a culpabilisé pendant des années, mais à la fin elle s’est dit que ses parents étaient peutêtre fiers d’elle puisqu’elle a su sortir de ce monde… Vous rendez hommage à votre mère dans le générique de fin : est-ce son histoire ? Ma mère a justement quitté cet univers pour aller vivre en Israël. Mais je ne voulais pas tourner ce film en Israël. Je voulais une terre qui soit neutre pour accueillir des gens avec des destins chargés. Mes parents ont été cachés pendant toute la guerre. Ma mère est née dans une famille cachée. Elle a découvert ses parents à l’âge de cinq ans et, lorsqu’elle avait sept ans, son père a été envoyé dans les camps où il a été gazé. Ce sont des êtres qui ont vraiment été marqués par tout cela et ils ont posé une cloche sur cette vie. Ils étaient des gens très simples et ils ont voulu prendre une revanche après la guerre pour ne pas donner à leurs enfants ce qu’ils ont vécu. Nous avons été tenus à l’écart de toute cette histoire. Ce fut un poids. Il y a des transmissions qui sont douloureuses, mais il y a des silences qui sont tout aussi douloureux, parce que l’on ne dit rien. Franchement, je n’ai reçu aucune éducation juive. J’ai vraiment compris que j’étais juif à l’âge de 12 ans. On faisait Noël et, pendant longtemps, le shabbat a été pour moi simplement ce que faisait ma mère dans son village d’ultra-orthodoxes. Avec le temps, j’ai rencontré des gens. J’ai eu cette approche du judaïsme qui m’a fait comprendre que loin de la religion, il y a un texte et que nous devions avoir la capacité à l’interpréter et à bien le lire. Il faut s’en servir comme on en a besoin et surtout ne pas se sentir culpabilisé par des invectives qui sont tellement fortes que l’on s’en retrouve prisonnier. J’ai adhéré à un mouvement que l’on qualifierait aujourd’hui de libéral ou de progressiste, mais je ne suis pas pratiquant. Face à cela, un curé, un imam et un rabbin pourraient vous rétorquer que la religion n’est pas une cafétéria et qu’il y a des commandements qui ne se négocient pas… Pourquoi ne ferait-on pas ce que l’on veut ! On nous dit qu’il y a des choses à respecter, cela m’intéresse, c’est le

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