la baule+ 40 // Avril 2022 C’est une société très angoissante par les interdits qui fleurissent et qui nous infantilisent. Le paradoxe, c’est que nous sommes dans une société qui ne fait plus d’enfants. Nous avons une chute démographique énorme. C’est masqué, parce que nous avons des immigrés qui continuent d’avoir une tradition démographique forte, ce qui permet de produire de bonnes statistiques. Nous sommes dans un pays de vieux, un pays vieillissant, où les vieux sont traités comme des enfants, avec la peur de tout avec l’extrême prudence qu’il faut avoir sur tout. Par exemple, pour les enfants, regardez les balançoires dans les villes, elles sont faites pour qu’il n’y ait aucun risque en cas de chute de l’enfant. Les balançoires ne sont plus en métal, comme dans mon enfance. Il n’y a plus de béton ou de gazon par terre, on a mis un sol plastifié pour que l’enfant ne se fasse pas mal en cas de chute. Dans cette société peureuse et paranoïaque, on infantilise les anciens, ceux qui sont censés être sages, après avoir accumulé les difficultés, puisque la vie n’est pas une ligne droite. À l’inverse, dans la vie professionnelle, le bonheur ne consiste-t-il pas à prendre des risques ? La vie, c’est une entreprise. Par définition, on est plus heureux si l’on construit sa vie comme on construit une entreprise, que si on la laisse ballotter au gré du vent. Le propre du bonheur, c’est d’anticiper les événements et, parce qu’on les a anticipés, on les accepte. Le bonheur n’a pas de rapport avec l’avoir Vous précisez que le bonheur ne vient pas d’un objectif que l’on s’est fixé. Je fais un parallèle avec certaines études marketing, qui rejoignent votre analyse, sur le temps de lassitude après l’achat d’un objet. On peut avoir économisé pendant des années pour s’offrir la voiture de ses rêves et l’on nage en plein bonheur au moment de sa réception. Mais après quelques semaines, il y a un effet de lassitude… Idem pour l’achat d’une nouvelle maison ou d’un appartement... L’effet de bonheur a été calculé : il dure seulement quelques mois… Le bonheur n’a pas de rapport avec l’avoir. C’est ce que je démontre avec les vainqueurs du Loto. Il est lié à l’être. Nous sommes des particules de l’univers, on est en harmonie avec le cosmos. On vit dans la dysharmonie parce que l’on pense être le sens de l’univers. Nous vivons en Occident dans le conflit de chacun avec chacun Des milliers de personnes, chaque jour, vont voir un coach en lui expliquant que leur but c’est le bonheur. Pourtant, vous démontrez que le bonheur n’est pas un but… J’ai été critiqué à cause de ce préjugé que je dénonce. Je parle du bonheur pour montrer qu’il n’est qu’un effet, mais il est l’effet d’une sagesse, du vrai but de la philosophie, qui est quand même une harmonie interne et une harmonie avec la réalité extérieure. Nous vivons en Occident dans le conflit de chacun avec chacun. C’est le scientifique contre la nature, par exemple. Le monde est polémique. Il faut éviter que les passions des autres s’exercent sur les autres, ou sur nous-mêmes Il y a un mot qui revient assez souvent dans votre livre : la sagesse… C’est un mot assez périmé dans notre société. La philosophie est morte depuis l’Antiquité. Ce n’est pas le christianisme qui l’a valorisée, puisqu’il avait une autre vision du monde à offrir, avec une autre attitude de vie. La sagesse est une manière de vivre, c’est une application de la réflexion, qui vise un équilibre de l’âme. C’est le fait de ne pas être submergé par les pathos, par les passions. Donc, si l’on ne veut pas être pathologique, il faut être sage. Or, notre société n’aime pas la sagesse, donc elle est essentiellement pathologique, ce qui explique son goût pour la victimité. Il faut éviter que les passions des autres s’exercent sur les autres, ou sur nous-mêmes. Propos recueillis par Yannick Urrien. Entretien avec le philosophe Emmanuel Jaffelin : « Notre société n’aime pas la sagesse, donc elle est essentiellement pathologique, ce qui explique son goût pour la victimité. » La Baule + : Vous avez lancé votre studio de production il y a 17 ans. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Pierre Sissmann : Nous avons 450 collaborateurs dans le monde, dans cinq studios sur trois continents, en Europe, Amérique et Asie. Nous sommes, bien sûr, installés en France, avec deux studios, mais aussi à Los Angeles, aux USA, Singapour, Rome en Italie et Bristol au Royaume-Uni. À Roubaix, dans les Hauts de France, nous avons créé un studio d’animation en temps réel, le plus grand d’Europe, et nous avons noué un partenariat avec Epic Games, créateur du jeu Fortnight. Nous avons également des associations importantes dans les pays de l’Est et en Chine où nos séries, comme Gigantosaurus, véritable hit mondial sur Disney + et Netflix, sont diffusées sur CCTV, chaîne nationale. Vous êtes souvent à La Baule : comment vivez-vous le télétravail ? Le télétravail a changé ma propre vie et celle de mes collaborateurs. Nous sortons des périodes de restrictions liées à la crise sanitaire et nos collaborateurs ont le choix de rester deux jours en télétravail, partout dans le monde. Bien entendu, Culture ► Un Baulois préside le premier groupe de production de dessins animés indépendant en Europe Pierre Sissmann : « Notre grand succès mondial actuel, Gigantosaurus, est diffusé simultanément sur plus de 50 chaînes dans le monde, en plus de Netflix et de Disney +. » Pierre Sissmann, ancien PDG de Walt Disney Europe, est le cofondateur et PDG de Cyber Group Studios, qui est aujourd’hui parmi les premiers, sinon le premier groupe de production de dessins animés indépendant en Europe. Pierre Sissmann est plus qu’un Baulois de cœur, puisqu’il partage sa vie depuis très longtemps entre Paris et La Baule. Il a décidé d’organiser le premier grand séminaire de son entreprise en juin prochain à La Baule.
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