la baule+ Avril 2022 // 23 cette décision, nous avons été très critiqués et les gens disaient que la Banque Nationale du Cambodge n’était pas dans l’air du temps. J’ai donc décidé d’étudier la technologie blockchain et, en 2017, nous avons trouvé la possibilité de lancer un système de paiement, justement en utilisant la blockchain. C’était quelque chose de vraiment nouveau, jamais expérimenté par une banque centrale dans le monde. Nous avons travaillé sur le système pendant deux ans et nous avons lancé le projet en 2020. Le virement bancaire n’était pas possible, parce que le système des prestataires de services de paiement n’était pas connecté à celui des banques Donc, si j’ai des espèces, je les dépose sur un compte et on me transforme cette somme en porte-monnaie virtuel… Il faut savoir qu’il y a beaucoup de réglementations sur les banques. Elles doivent faire beaucoup de vérifications, ce qui est assez difficile pour les gens qui sont dans les zones rurales, car certaines personnes n’ont même pas une pièce d’identité. Avant le Bakong, au Cambodge, la plupart des gens n’avaient pas de compte d’épargne. En même temps, nous avions des prestataires de services de paiement, ce sont des entreprises qui permettent aux gens d’enregistrer un portefeuille électronique. Pour enregistrer un portefeuille électronique, c’est bien plus facile que d’ouvrir un compte d’épargne. Donc, on s’est aperçu que dans les zones rurales, les gens avaient plus de portefeuilles électroniques, alors que dans les zones urbaines les gens ont plus de comptes bancaires. Il y avait une déconnexion entre le monde rural et le monde urbain, car les gens qui vivent en ville ne pouvaient pas envoyer de l’argent à leurs amis ou à leur famille dans le monde rural, et vice versa. Le virement bancaire n’était pas possible, parce que le système des prestataires de services de paiement n’était pas connecté à celui des banques. En plus, en zone urbaine, si deux personnes n’utilisaient pas la même banque, il était impossible de transférer de l’argent électroniquement via le téléphone mobile. Avec le Bakong, nous faisons le pont entre tout le monde : c’està-dire entre les clients de la banque A et les clients de la banque B, mais aussi entre le monde rural et le monde urbain. C’est un aspect vraiment unique. Par ailleurs, nous permettons aux gens d’enregistrer un portefeuille électronique en utilisant une application mobile créée par la Banque centrale. C’est unique au monde, car c’est la banque centrale qui établit un portefeuille électronique pour toute la population. Ce sont les petites boutiques qui font des virements et que l’on trouve un peu partout Ainsi, dans une zone rurale, la personne doit bien aller quelque part pour déposer de l’argent physique afin de le transformer en portefeuille numérique… Comment procède-t-elle ? Pour déposer de l’argent dans un portefeuille électronique Bakong, les gens vont vers des agents bancaires. Ce sont les petites boutiques qui font des virements et que l’on trouve un peu partout. Lorsque cet argent est dans le portefeuille électronique, la personne peut envoyer de l’argent à sa famille ou à ses amis. Nous facilitons les transactions électroniques entre les gens dans le pays, sans discrimination La blockchain permet de garantir et de vérifier l’authenticité des transactions. En tant que Banque Centrale, vous assurez donc un rôle de sécurité au début et à la fin de la transaction financière… En quelque sorte, nous facilitons les transactions électroniques entre les gens dans le pays, sans discrimination, que ce soit pour quelqu’un qui n’a pas de compte bancaire ou quelqu’un qui habite dans un village isolé au fin fond du pays. Nous pouvons faire cela grâce à l’infrastructure que nous avons et à la très forte pénétration de la téléphonie mobile. Nous avons une population de 16 millions de personnes et le nombre d’abonnés est de 20 millions ! Nous voulions aussi permettre aux femmes d’envoyer l’argent directement aux écoles et aux hôpitaux Finalement, quel est l’avantage par rapport à la monnaie physique ? Il y a beaucoup de différences pour les pays en voie de développement. Avant les transferts électroniques, pour envoyer de l’argent à sa famille, il fallait le faire à travers un coursier qui portait l’argent tout simplement dans une valise et qui distribuait l’argent de village en village. C’était un service très coûteux et, en plus, c’était très risqué. Avec les moyens électroniques, on peut envoyer de l’argent très facilement d’un point à un autre. L’autre atout porte sur les transferts internationaux. On commence à travailler avec d’autres pays de la région. Au Cambodge, nous avons beaucoup de femmes qui travaillent à l’étranger et qui envoient de l’argent à leur famille, mais souvent l’argent est mal utilisé par les gens de la famille. L’argent qui est censé payer l’éducation des enfants, ou l’hôpital des personnes âgées, est parfois dépensé dans des choses inutiles. Nous voulions aussi permettre aux femmes d’envoyer l’argent directement aux écoles et aux hôpitaux. Pour cela, le transfert Bakong est immédiat, international, et le coût est très bas, avec un niveau de sécurité très élevé. L’autre atout, c’est de permettre à beaucoup de gens de rentrer dans un système formel, ce qui signifie que les institutions financières vous connaissent mieux, il est ainsi plus facile de demander un crédit. C’est également une manière d’aider à l’inclusion financière. Nous avons déjà des pays de la région qui sont venus nous voir, déjà aussi quelques pays africains qui nous demandent comment cela marche Êtes-vous en contact avec des directeurs de banques centrales, notamment en Afrique ou au Moyen-Orient, qui souhaiteraient imiter votre modèle ? Oui, cela commence. Nous avons déjà des pays de la région qui sont venus nous voir, déjà aussi quelques pays africains qui nous demandent comment cela marche, de manière très informelle. C’est un système très simple à répliquer dans les pays en développement, parce que ce n’est pas cher, c’est facile à mettre en place et j’espère pouvoir partager notre expérience. L’objectif est de réduire la pauvreté En conclusion, l’inclusion financière permet à des millions de personnes de rentrer progressivement dans la classe moyenne, en ayant un statut social, à travers l’assurance santé, le crédit ou la retraite. C’est donc aussi un moyen de développement économique… Oui. L’objectif est de réduire la pauvreté en amenant les gens dans le système formel. Si je vais en vacances à Phnom Penh, pourrai-je ouvrir un portefeuille Bakong ? Il faudrait avoir un numéro de téléphone local pour cela. Propos recueillis par Yannick Urrien.
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