La Baule+

la baule+ 28 // Août 2022 Sociologie ► Pourquoi une partie de la jeunesse est-elle nostalgique de la France d’autrefois ? Édouard de Praron : « La jeunesse d’aujourd’hui est plus nostalgique que celle d’il y a 30 ans. » Édouard de Praron est le pseudonyme d’un trentenaire diplômé de Sciences Po Paris et ancien consultant dans le secteur bancaire, actuellement chef de projet, qui signe un livre intitulé « Dépossession ». Que l’on partage ses idées ou non, cet ouvrage est intéressant, car il nous permet de comprendre pourquoi une grande partie de la jeunesse se montre nostalgique d’une France d’autrefois, qu’elle n’a évidemment pas connue, et aussi pourquoi certains jeunes se tournent vers des votes extrêmes, alors que dans les années 70 et jusqu’aux années 2000, la majorité d’entre eux manifestaient plutôt leur sympathie pour les idéologies de gauche et les écologistes. Dans ce livre, Édouard de Praron raconte l’histoire de Jean, cadre dynamique, qui mène une vie confortable. Pourtant, inexorablement monte en lui un sentiment de dépossession. Dépossession de sa culture d’abord. Délitement de la société. Remise en cause de ses idéaux. Mais aussi perte de sens de son travail. Alors, quand le terrorisme islamique frappe la France, le jeune homme s’insurge. À travers les pérégrinations et les différents échanges du personnage principal, cet ouvrage est l’occasion de réfléchir autour de la crise identitaire que traverse la France. Ce trentenaire écrit : «On devait être bien autrefois en France. Le bourdon. Une furieuse envie d’écouter Nostalgie. Non, plutôt de regarder un bon Belmondo ou un Gendarme avec Louis de Funès. Être dans la France d’avant. Celle des paysages ruraux, avant les lotissements, les pavillons, les zones commerciales. Celle des places de villages pleines de vie, animées, quand la jeunesse ne les avait pas encore quittées pour les boulevards des grandes métropoles. Fouler un chemin de terre, au milieu des champs s’étendant à perte de vue, avec pour seul horizon, une colline, une montagne, et quelques villages perdus au loin. Se rendre au marché avec son panier, flâner entre les étalages, passer devant l’église, s’arrêter au bistrot, acheter son pain à la boulangerie et enfourcher son vélo pour rentrer. Ou alors, vivre dans ce Paris populaire incarné par Bebel, Gabin, Ventura. Et pouvoir fumer tranquillement sa clope au comptoir. Enfin, la France d’avant, quoi. Celle où il faisait bon vivre. Celle où on pouvait laisser ses clés sur le contact de sa voiture pendant que l’on achetait le pain… » « Dépossession » d’Édouard de Praron est publié aux Presses de la Délivrance. La Baule + : Vous avez moins d’une trentaine d’années et vous racontez cette dépossession culturelle que vous subissez. Comment pouvez-vous ressentir la frustration d’être privé de quelque chose que vous n’avez pas personnellement vécu, puisque le phénomène de dépossession culturelle a commencé il y a 30 ou 40 ans ? Édouard de Praron : Il y a aussi des choses que l’on a vues et que l’on a connues, et qui sont remises en question année après année. J’ai connu des chasses où il n’y avait pas d’anti-chasses qui venaient nous perturber. J’ai connu un temps où l’on n’était pas culpabilisé par le fait de manger de la viande. Un temps où l’on ne se posait pas la question à l’idée de commémorer un certain nombre d’exploits de notre histoire de France. Et, lorsque j’étais petit, il n’y avait pas un Maître Gims pour dire qu’un musulman ne devait pas souhaiter un joyeux anniversaire ou une bonne année... Je ne crois pas que la polémique sur le Burkini était quelque chose qui existait lorsque j’étais plus jeune. Tout cela s’accélère et j’observe cette dépossession. Cela ne se limite pas au sujet de l’immigration. Il y a aussi la déchristianisation, la fragilisation des liens familiaux ou la déconnexion avec la nature. Dans des métiers également, il y a certains secteurs qui sont de moins en moins connectés au réel. En 2005, je devais avoir 17 ans, le peuple souhaitait s’opposer au référendum : or j’observe que, depuis, l’Union européenne a confisqué une grande partie de notre souveraineté. L’Assemblée nationale n’est plus qu’une chambre d’enregistrement de ce qui se passe au Parlement européen et cela fait partie de notre dépossession démocratique. Votre livre permet de comprendre les oppositions actuelles. À la fin des années 60, il y avait le clivage entre les soixante-huitards et les gaullistes, mais aujourd’hui il y a trois clans qui se résument ainsi : des jeunes très à droite qui votent RN, des jeunes très à gauche qui votent Nupes et des jeunes très libéraux et mondialisés qui votent Macron… J’ajoute qu’au sein de la jeunesse Nupes, il y a une partie des jeunes qui sont issus de l’immigration et qui peuvent constituer un bloc à part entière... Maintenant ce sont les sujets identitaires qui ont pris le dessus Cela signifie-t-il que la jeunesse est plus que jamais divisée ? En fonction des sujets qui dominent la société, les clivages diffèrent : dans les années 1990 ou 2000, vous aviez des libéraux face aux socialistes, mais maintenant ce sont les sujets identitaires qui ont pris le dessus. On peut observer que cela casse les courants car, au sein du courant identitaire, vous avez des gens qui sont libéraux sur le plan économique, tandis que d’autres sont plus socialistes. Peut-être que nos ancêtres n’étaient pas dans le même camp. Peut-être que nos descendants ne seront pas dans le même camp. Mais j’observe que tant que tous les jeunes issus de l’immigration ne s’intégreront pas, je ne vois pas comment leurs descendants seront dans le même camp. Tant qu’il n’y aura pas une assimilation et une adhésion aux valeurs françaises, il n’y aura pas de vie commune. À l’inverse, peut-être que les enfants de quelqu’un qui a voté Nupes se retrouveront dans le même camp que les miens, en fonction des clivages de la société de demain... Les jeunes sont-ils plus nostalgiques du passé que leurs aînés, lorsque ces derniers avaient leur âge ? Oui. Quand on nous dit qu’il existait une France dans laquelle on pouvait laisser ses clés de contact sur sa voiture à la campagne le temps d’aller acheter sa baguette de pain, effectivement il y a une certaine nostalgie qui se développe... Maintenant, les générations précédentes ont bénéficié des limites intrinsèques à la société, puisque la technologie que nous connaissons n’était pas apparue, notamment l’abolition des frontières et la société de consommation. Alain Finkielkraut résume cela en disant qu’aujourd’hui il n’y a plus de frontières, mais des digicodes : donc, on a déplacé les frontières. Lorsque l’on abat toutes les frontières qui protégeaient la communauté française, on est obligé de mettre des digicodes et des caméras partout. Donc, c’est vrai, la jeunesse d’aujourd’hui est plus nostalgique que celle d’il y a 30 ans. C’est très bien de recycler, mais quand cela devient l’obsession d’un enfant de cinq ans, cela pose quand même un problème... Les films des années 70 montrent bien la vie à cette époque. Les gens pouvaient se garer sur le trottoir à deux pas des Champs-Élysées pour aller dîner, boire deux ou trois verres, puis prendre l’autoroute pour aller à Deauville en roulant à 160 km/h. Que pensez-vous de cette France ? D’abord, je ne regrette pas d’être né dans mon époque. Je ne dis pas que c’était mieux avant, mais je dis que si certains sujets n’existaient pas, la France se porterait mieux. Dire cela ne signifie pas que l’on est nostalgique

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