la baule+ 22 // Juillet 2023 La Baule + : Vous êtes l’auteur de « Chroniques d’un buveur de lune » et votre éditeur, Albin-Michel, a souligné que vous analysez les rapports humains comme « un humaniste issu du monde musulman ». Quelle a été votre démarche ? Morad El Hattab : Ce livre est sorti il y a quelques années et il a été primé par le prix Lucien Caroubi, pour la paix et la tolérance. La première partie est un essai sur le mal et la deuxième porte sur l’amour. C’est l’une des rares fois où un éditeur a fait état de ma confession, puisque j’étais le premier musulman dans le monde à avoir élaboré tout un travail sur le mal à travers la Shoah. Je m’étais intéressé au mécanisme qui fait que l’être humain peut rendre anonyme l’autre pour le faire disparaître. Vous prenez toutes les dictatures, on cherche toujours à rendre anonyme l’autre pour le détruire. À un niveau bien moindre, dans nos relations quotidiennes, quand on veut absolument faire le mal, on s’assure que l’autre n’ait pas d’identité et, surtout, qu’il n’ait pas de visage, comme disait Lévinas. C’est l’un de mes philosophes de prédilection avec Paul Ricoeur et Heidegger… L’expression du visage est extrêmement puissante chez l’être humain Cela vous fait un point commun avec Emmanuel Macron… Emmanuel Macron a rassemblé les notes de Paul Ricoeur, alors que moi je l’ai étudié... Ce que l’on privilégie chez ces philosophes immenses, c’est la notion de justice et de mal. Lévinas va beaucoup plus loin en disant que dès que l’expression du visage de l’autre me fait face, il m’interdit de le tuer. C’est pour cette raison que l’expression du visage est extrêmement puissante chez l’être humain. Lévinas va plus loin en disant que l’enfer ce sont les autres. Il veut dire qu’autrui est le seul médiateur incontournable entre moi et moi-même. En réalité, pour me réaliser, me connaître et évoluer, je dois passer par l’autre. Pour aller plus loin, on peut évoquer la notion de sincérité. La sincérité n’est pas la brutalité de l’aveu, mais l’approche attentive de l’autre. Votre éditeur, Albin Michel, vous a présenté comme un « humaniste issu du monde musulman » et le même livre aurait pu être écrit par un humaniste issu du monde chrétien ou juif. Lorsque l’on respecte les trois religions, on est forcément un humaniste. La différence se marque-t-elle entre ceux qui ont une spiritualité et ceux qui n’en ont pas ? C’est très pertinent, il y a une différence entre la notion de religion et de spiritualité. Étymologiquement, le mot religion, c’est relier, alors que l’on peut être sans religion et spirituel. Michel Onfray a démontré cela. C’était un chrétien convaincu et il a fini par écrire un livre où il a reconnu être athée, tout en étant spirituel. Mais l’éditeur voulait faire comprendre que le sujet était traité par un Français car, dans l’espace public, je ne suis pas une religion, je suis né en France de parents français et j’ai été instruit dans cette notion universelle de bien commun qu’est la laïcité. La force de la laïcité française, c’est qu’il est possible de croire, comme de ne pas croire. Nous sommes le seul pays dans le monde où l’on a obligé les citoyens à s’écrire euxmêmes un mot pour aller faire leurs courses Tout cela n’a-t-il pas été démontré encore lors du confinement ? On a vu que ceux qui entretenaient une certaine spiritualité avaient un sens de protection de la vie, au sens vivre la vie, alors que ceux qui en manquaient, abordaient la protection de la vie au sens protéger son corps en restant enfermé chez soi… L’un perçoit le monde parce qu’il pense que quelque chose le dépasse, une entité supérieure, donc il aborde cela comme une épreuve. Votre analyse est juste, des sociologues travaillent sur ce sujet, cela s’explique par l’absence de lien avec quelque chose qui nous dépasse. En France, on a fait très fort : nous sommes le seul pays dans le monde où l’on a obligé les citoyens - en tordant le bras aux libertés fondamentales - à s’écrire eux-mêmes un mot pour aller faire leurs courses ou sortir de chez soi ! On sent bien une volonté de contenir la vie et la plénitude de l’être. Ce gouvernement a manqué Littérature ► Rencontre avec un penseur musulman engagé Morad El Hattab : « En France, le pouvoir a commis une erreur fondamentale en paupérisant la classe moyenne supérieure. » Morad El Hattab connaît bien La Baule. Il y vient régulièrement, il y a de nombreux amis et il donne souvent des conférences dans des cercles baulois. Il a été le premier musulman dans le monde à écrire un livre sur les mécanismes terribles de la Shoah, ce qui lui a valu d’être récompensé par le prix pour la paix et la tolérance Lucien Caroubi pour son œuvre qui « invite au respect de la dignité humaine et à l’horizon des possibles». Son grand combat, c’est la lutte contre la pédocriminalité. Depuis des années, il tente d’alerter les pouvoirs publics sur le phénomène grandissant de la pédocriminalité internationale et nationale. Un combat qui lui a valu d’être reçu à la Maison Blanche par Donald Trump et sa fille Ivanka Trump. Morad El Hattab vient de publier un ouvrage, au titre volontairement provocateur, intitulé «Vladimir Poutine, le nouveau de Gaulle». En rappelant des aspects peu connus de l’histoire de France à travers l’action du Général de Gaulle, mais aussi de Napoléon, il explique comment la Russie peut réussir là où la France a échoué, en reprenant le double combat qui fut celui du Général : la réforme du système monétaire international et la concorde des Nations.
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