La Baule+

la baule+ 18 // Juillet 2023 La Baule+ : Votre dernier ouvrage traite de la civilisation et du libre arbitre. Dans ce contexte, que pensez-vous des propos d’Emmanuel Macron sur la « décivilisation » de notre société ? Jean-Philippe Delsol : On pourrait considérer que la civilisation, c’est l’évolution de l’homme dans son autonomie, c’est-à-dire dans sa liberté. S’il y a aujourd’hui un problème de « décivilisation », c’est que là où, pendant des siècles - notamment depuis l’avènement de la Grèce, de Rome, et du judéo-christianisme - l’homme a gagné en autonomie et en liberté, depuis quelques décennies il y a de plus en plus cette tendance qui veut que l’homme devienne le protégé de l’État. L’État doit tout faire pour l’homme. Au lieu de donner aux hommes les moyens d’acquérir leur liberté, on leur apprend à tendre la main pour vivre d’oboles, et cela crée inévitablement une sorte de « décivilisation ». On redevient des barbares. Société ► Réflexion autour du concept de « décivilisation » Jean-Philippe Delsol : « Nous perdons nos libertés parce que l’État veut se substituer à nous. » Emmanuel Macron a évoqué la « décivilisation » de notre société. L’utilisation de ce mot, qui est aussi le titre d’un récent livre de l’écrivain Renaud Camus, a suscité de nombreux débats. Chacun peut avoir sa propre interprétation de ce terme. Nous avons demandé à Jean-Philippe Delsol, auteur de «Civilisation et libre arbitre » de nous faire part de son analyse. Jean-Philippe Delsol, docteur en droit, est avocat et il est le fondateur du cabinet Delsol Avocats. Il est le président de l’IREF (Institut de Recherches Économiques et Fiscales) et il a écrit de nombreux ouvrages sur la question des libertés. Or, c’est justement le recul des libertés, avec un État de plus en plus prégnant sur nos vies, qui constitue à ses yeux la principale cause de la « décivilisation ». pouvoir accorder la liberté à quelques autres. Les libertés ne sont plus des droits naturels de chacun dans cette conception, mais des concessions. Si l’on admet la différence, on admet forcément l’inégalité L’État est bibliquement responsable de la liberté de chacun. En contrepartie, les citoyens doivent payer des impôts et élire des politiques responsables. Quand l’impôt devient trop élevé, les hommes politiques deviennent des voleurs, toujours au sens biblique. On arrive donc à la question de l’impôt sur la fortune. Est-ce aussi la raison pour laquelle vous avez écrit « Éloge de l’inégalité » ? Tout est dans tout et réciproquement. L’inégalité n’est pas injuste en soi, elle est injuste quand elle est d’une origine malhonnête, ou quand elle est mal utilisée. En soi, le fait que nous soyons inégaux, c’est simplement parce que nous sommes différents. Si l’on admet la différence, on admet forcément l’inégalité, car en fait les hommes différents ne sont pas semblables, donc ils ne peuvent pas être égaux. La spécificité de l’homme, plus encore que les animaux, c’est que les hommes sont tous différents parce qu’ils sont tous singuliers. Chacun de nous est par nature différent des autres : donc, par nature, nous sommes inégaux. La justice est de reconnaître cette inégalité et de savoir en vivre. Vivre avec nos inégalités, c’est se respecter. Le problème d’aujourd’hui, ce n’est pas l’inégalité, c’est l’irrespect. Vous indiquez que ce qui marque la différence entre l’Occident et l’islam, c’est que nous sommes dans une civilisation du libre arbitre. N’est-ce pas aujourd’hui dépassé, car on a pu constater, notamment depuis les confinements, que l’Occident a perdu son libre arbitre ? L’Occident perd actuellement une partie de son libre arbitre parce que l’État-providence veut suppléer à notre autonomie et nous imposer notre façon de vivre. C’est particulièrement manifeste en matière de logement aujourd’hui. Le Parlement européen vient de voter une proposition de directive pour organiser le logement des uns et des autres. Nous ne serions plus libres d’avoir nos logements ! Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Nous perdons nos libertés parce que l’État veut se substituer à nous. L’État veut dire notre bien et veut faire notre bien. Chaque fois que l’État veut faire le bien des hommes, il le fait mal, parce que c’est nous qui savons le mieux chercher et trouver notre bien. Quand l’État le fait à notre place, il le fait en partant du général, au lieu de partir du particulier, et il le fait toujours mal et à notre détriment. Au lieu d’aider les hommes à se secourir euxmêmes, l’État veut les secourir Ceux qui déplorent la «décivilisation » ne sont-ils pas aussi responsables des graines qu’ils ont semées ? Il y a un double phénomène de barbarie. D’abord, nous perdons les acquis de la liberté et de l’autonomie, qui sont les acquis de Rome, d’Athènes et du judéo-christianisme, en nous soumettant à d’autres conceptions du monde, religieuses et politiques, qui sont des conceptions dans lesquelles le libre arbitre humain n’est pas reconnu. Il y a notamment dans l’islam cette idée que l’homme est prédéterminé et qu’il est tout entier dans la main de Dieu : « Si tu as tué quelqu’un, ne t’inquiète pas, ce n’est pas toi qui l’as tué, c’est la main de Dieu. » C’est écrit ainsi. À partir de là, l’homme n’est plus responsable. Or, « décivilisé » veut dire que l’homme devient irresponsable et qu’il n’est plus responsable de lui-même et des autres. Il y a dans ce phénomène une sorte d’emprise nouvelle, une conception extérieure à notre monde occidental, qui vient essayer de s’y substituer. Il y a un deuxième phénomène de « décivilisation » qui tient au fait que les État occidentaux eux-mêmes se sont sentis, depuis quelques générations, une nouvelle mission, notamment sous l’influence du marxisme, en voulant prendre en charge les hommes malgré eux et c’est ce que l’on appelle l’État-providence. Au lieu d’aider les hommes à se secourir euxmêmes, l’État veut les secourir, et il leur fait perdre leur capacité d’autonomie. C’est finalement ce qui les rend barbares. Celui auquel on n’apprend pas qu’il faut travailler pour vivre, et que le travail est quelque chose de difficile, va considérer que vendre de la drogue est plus facile que de travailler, qu’il est plus facile de voler, et que Votre analyse va à l’encontre des idées reçues, car lorsque l’on évoque la « décivilisation », on pense à la sauvagerie. Or, c’est finalement tout sauf l’État et l’organisation en société… L’État devient une espèce d’organisme dispensateur des désirs des individus qui tendent la main pour recevoir et qui n’admettent pas que l’État ne leur donne pas. L’État a abandonné ses fonctions principales qui sont de garantir l’ordre, la sécurité et la propriété de chacun, pour que chacun puisse vivre de son autonomie. C’est-à-dire exercer ses libertés. Au lieu de cela, l’État promet tout à tous et voudrait que tous puissent librement exprimer leurs désirs sans étudier les conflits que peuvent entraîner ces différents désirs. Thomas Obs expliquait déjà cela. L’État n’arrive plus à régir cet excès de liberté, qui est en fait un laxisme payé par l’État lui-même, et qui devient de la barbarie. Vous expliquez que l’État veut répondre aux besoins des individus. Pourtant, si mon désir consiste à avoir une maison individuelle avec une piscine, c’est tout ce que l’État entend combattre en ce moment… L’État qui veut tout donner à tous ne peut pas le faire. Il n’en a pas les moyens, sauf à prendre aux autres et à limiter la liberté de certains pour

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