La Baule+

la baule+ 8 // Février 2023 Energie ► L’économiste et spécialiste du nucléaire estime que les prix de l’énergie devraient descendre rapidement Rémy Prud’homme : « Cette attitude antiénergie qui domine dans le monde occidental est la cause principale de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. » Rémy Prud’homme est l’un des pères du nucléaire français. Il a siégé dans la commission PEON, à l’origine du programme nucléaire français, à la demande du Général de Gaulle. Il a été professeur agrégé en sciences économiques et il a travaillé pour la plupart des grandes organisations internationales, notamment l’UNESCO, l’OCDE, la BERD, la Banque Asiatique de Développement, la Banque Interaméricaine de Développement et la Banque mondiale. Il était intéressant d’avoir son analyse sur la crise énergétique, or il se montre plutôt optimiste. « Les vrais responsables de la crise énergétique » de Rémy Prud’homme est publié aux Éditions L’Artilleur. La Baule+ : On peut dire que vous avez baigné toute votre vie dans les sujets liés à l’environnement et à l’énergie, donc ce sont des thèmes que vous connaissez bien… On découvre que ces ministres qui étaient si fiers de fermer les centrales nucléaires il y a quelques années ne sont même plus embarrassés aujourd’hui à l’idée de défendre le nucléaire… La situation est-elle rattrapable ? Rémy Prud’homme : Oui. J’ai eu la chance et l’honneur de siéger dans la commission PEON (Production d’électricité d’origine nucléaire) qui a préparé le programme nucléaire français. Il n’y a pas que les politiques, un grand nombre de journalistes et d’intellectuels disaient exactement la même chose. Il est exact que le fait d’avoir condamné le nucléaire a eu pour effet que très peu de gens de qualité sont allés vers le nucléaire, puisque c’était présenté comme une activité en déclin qui allait rapidement disparaître. Donc, il y a eu un manque de cerveaux dans le nucléaire. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir construit de centrales pendant vingt ans fait qu’un certain nombre de soudeurs ont pris leur retraite et l’on manque aujourd’hui de connaissances techniques et pratiques. On est obligé d’aller chercher des soudeurs en Corée ou aux ÉtatsUnis pour faire les soudures dont on a besoin. Il n’est pas certain que la voiture électrique va continuer à avoir autant de succès que le prévoient les observateurs Vous analysez la demande intérieure depuis plusieurs semaines et vous observez une baisse globale de seulement 1 %… J’observe une constance de la demande de la consommation d’électricité. Il ne faut pas juger sur une année. Depuis vingt ans, la consommation fluctue autour de 500 TWh, il n’y a pas de tendance très nette, au cours de l’année 2022 la tendance a été plutôt basse et il y a toutes sortes de raisons. Il y a quand même des progrès dans la technologie qui font que l’on a besoin d’un peu moins d’énergie. Il y a le recul de la production industrielle qui est très important. Mais il y a aussi des demandes nouvelles, puisque l’informatique fait augmenter la demande d’électricité. Pour le moment, la tendance est assez stable. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais la consommation habituelle ne devrait pas beaucoup changer. D’ailleurs, dans les projections qui sont faites, on explique que l’on va se jeter à corps perdu dans les véhicules électriques... Cela va augmenter la demande de 100 TWh et l’on va se jeter encore plus dans l’hydrogène, qui va aussi faire augmenter la demande. Ces deux augmentations ne sont pas impossibles, mais c’est très loin d’être certain, car nul ne peut dire si l’hydrogène va véritablement se développer. Il n’est pas certain que la voiture électrique va continuer à avoir autant de succès que le prévoient les observateurs. Du côté de la demande, il y a probablement une grande stabilité, sauf si la voiture électrique et l’hydrogène prennent le relais. La guerre en Ukraine, la crise sanitaire ou l’OPEP, n’expliquent en rien la hausse considérable qui est intervenue au cours de l’année 2022 Que dites-vous aux patrons de petites entreprises qui ont actuellement la corde au cou avec cette question de l’énergie ? Faut-il ajuster son prix de vente en fonction du coût de l’énergie, ou est-ce provisoire ? Je pense que c’est assez largement provisoire, en particulier parce qu’une bonne partie des phénomènes, qui nous sont présentés comme des causes, ne sont pas véritablement des causes. La guerre en Ukraine, la crise sanitaire ou l’OPEP, n’expliquent en rien la hausse considérable qui est intervenue au cours de l’année 2022. Le facteur principal de cette hausse des prix - pas seulement de l’électricité, d’ailleurs, des carburants aussi - c’est que nous avons cessé d’investir au niveau mondial dans les énergies fossiles. Il y a eu, pour toutes sortes de raisons, notamment prétendument environnementales - avec cette haine du CO2 qui envahit la planète - une volonté dans les pays développés, en Europe occidentale et aux États-Unis, de réduire la production de gaz et de pétrole. Les recherches et les investissements dans l’exploration et la production ont été considérablement diminués au cours des dix dernières années et maintenant nous n’avons pas assez de pétrole et de gaz pour faire face à la demande. Si la demande stagne en France, elle ne stagne pas au niveau mondial. La demande d’énergie de la Chine et de l’Inde augmente très rapidement et c’est une bonne chose pour que ces pays sortent de la misère. La Chine est largement sortie de cette situation et c’est maintenant au tour de l’Inde. Si la demande augmente alors que l’offre diminue, il est logique que les prix augmentent. Cette attitude anti-énergie qui domine dans le monde occidental est la cause principale de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz. Tout cela a un impact sur les prix de l’électricité. Mais il ne faut pas se presser de considérer que l’année 2022 marque un tournant absolument inévitable. En réalité, on voit déjà que les prix se mettent à descendre. Le prix mondial actuel du pétrole n’est pas terriblement élevé, on est aux alentours de 80 $ le baril, alors que l’on a connu au cours des trente dernières années des prix nettement plus élevés. Il faut ajouter que c’était des prix en dollars et que le glissement de l’euro par rapport au dollar est important, puisque l’euro a perdu 25 % de sa valeur : donc, pour nous, une stabilité des prix en dollars, c’est une hausse des prix du pétrole que nous achetons. Pour le gaz, c’est plus compliqué, parce qu’il y a plusieurs prix du gaz dans le monde, parce qu’il y a deux ou trois types de gaz. Il y a le gaz naturel qui se transporte en oléoduc et il y a le gaz naturel qu’on liquéfie et qui coûte plus cher. C’est le

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