la baule+ 30 // Avril 2022 Cinéma ► Le réalisateur baulois réenchante Marcel Pagnol… Christophe Barratier : « Pagnol nous fait savoir que c’est toujours la sagesse qui vient remettre les choses en ordre. » Christophe Barratier est le plus baulois des réalisateurs de cinéma. D’abord, parce qu’il vient souvent à La Baule, mais aussi parce qu’il préside le Festival de cinéma et musique de film de La Baule. Après « Les Choristes » et «La Nouvelle guerre des boutons», Christophe Barratier poursuit son exploration de l’enfance avec «Le Temps des secrets » de Marcel Pagnol. Il conclut ainsi la trilogie entamée par Yves Robert avec « La Gloire demon père » et « Le Château de ma mère ». Un film qui réconcilie les Français avec le cinéma à une époque où ils ont envie de retrouver leurs traditions et leur culture. La Baule + : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur Marcel Pagnol ? Christophe Barratier: Cela remonte à loin. Ma grand-mère maternelle m’a élevé en partie, parce que mes parents étaient comédiens et ils étaient tout le temps sur les routes. Ma grand-mère était aussi comédienne. Elle avait eu une jolie carrière avant-guerre, en jouant beaucoup de Pagnol et de Guitry. Ses murs étaient constellés de photos avec Raimu, Fernandel, Charpin et toute la bande de Marcel Pagnol. Quand il y avait un film de Pagnol à la télévision, c’était couvre-feu à la maison, il fallait regarder. Idem pour Sacha Guitry. Elle m’a fait découvrir « Le château de ma mère » et « La gloire de mon père ». Cela m’avait beaucoup marqué. Lorsque la productrice m’a proposé ce sujet, je me suis dit que c’était une grosse responsabilité. D’abord, je ne suis pas provençal et j’ai pensé que cela appartenait à la Provence. Mais finalement, non, il ne faut pas garder Marcel Pagnol dans le folklore du sud de la France. Bien entendu, c’est très typique, mais il a marqué tellement de spectateurs, en France et dans le monde, qu’il y a bien quelque chose qui va au-delà de ce simple régionalisme. Tout le monde peut s’identifier à Marcel Pagnol, parce qu’il nous raconte des choses très simples. Tout part toujours d’un détail. Il n’y a pas de grands drames, il n’y a pas de grandes trahisons, il n’y a pas de catastrophes, mais simplement des détails comme une source qui ne donne plus d’eau, un olivier qui appartient au champ du voisin, un figuier qui ne donne plus de fruits, une mule qui ne veut pas avancer… Ce sont des petites choses dont il se sert pour dire des choses profondes sur la vie, tout en ne les disant pas, parce que Pagnol n’est pas un donneur de leçons. Il ne décrit pas ce que sont ses personnages, mais il décrit ce qu’ils font. À partir de là, chacun peut en tirer des leçons. En plus, c’est un auteur qui a la modestie de se mettre à notre hauteur. On n’est pas complexé par Pagnol, parce que tout le monde peut comprendre ce que c’est qu’un quincaillier, un outil, une fourche, une cheminée… Il sait faire de tout cela une histoire. Vous évoquez l’universalité de Marcel Pagnol: dans le monde entier, dans ce que l’on appelait les missions françaises, ils ont tous appris la culture française avec Pagnol… Il faut dire qu’il a hérité de ce sens pédagogique qui était celui de son père, un instituteur qui était un militant de la laïcité à l’époque. L’action se passe en 1905 et son père était ce que l’on appelait un hussard noir de la République, c’est-à-dire ces instituteurs qui étaient contre l’enseignement religieux. Donc, c’est un père qui défend des valeurs républicaines très fortes. Ce qui est assez savoureux dans le film, c’est qu’il passe ses vacances avec son oncle, qui est un bon vivant, parce que le père Pagnol ne buvait pas une goutte d’alcool, mais l’oncle Jules était un bon vivant et aussi un bigot. Donc, il y a de nombreuses joutes verbales à propos de la religion que l’on retrouve dans le film. En donnant le rôle de Joseph Pagnol à Guillaume de Tonquédec, on a un acteur qui vient du milieu très académique du conservatoire d’art dramatique de Paris et, de l’autre côté, on a un acteur qui s’est fait tout seul, François-Xavier Demaison. Un côté lutte des classes, c’est-à-dire les citadins contre les ruraux À cette époque, il pouvait y avoir des conflits dans une famille, mais il y avait aussi la sagesse d’écouter l’autre, de le respecter, de le contredire. La culture permettait d’étaler des arguments et des contre-arguments. Aujourd’hui, on ne peut plus discuter de rien, qu’il s’agisse de la vaccination ou d’autres sujets, sinon on est tout de suite dans l’ostracisme… Mais ce n’est pas tout le temps gentil ! Il y a toujours un trait de caractère chez Pagnol, que j’ai un peu musclé dans le film parce que, dans le récit, c’est plutôt effleuré. Je me suis servi dans l’œuvre de Pagnol, avec l’accord de Nicolas Pagnol, son ayant droit, pour mettre en exergue ce moment où le personnage principal prend le melon, comme on dit dans le Midi, en se croyant supérieur aux autres. On retrouve cela dans « Le Schpountz »: Fernandel travaille dans l’épicerie de son oncle et on lui fait croire qu’il va devenir acteur de cinéma à Hollywood. Il commence à dire à son oncle qu’il va devenir une star et qu’il ne va pas s’abaisser toute sa vie à servir les haricots de ses clientes… Il ajoute qu’il va pouvoir acheter l’épicerie, et peut-être même Félix Potin ! Je me suis servi de cela dans le film parce que le petit Marcel Pagnol rencontre Isabelle qui est, paraît-il, une noble très riche, et quand il revient le soir chez lui, après avoir vu un château avec des œuvres d’art, il dit à ses parents : « Vous ne voulez pas que je m’émancipe, mais que je sois comme Papa à réparer des commodes pourries et à discuter du prix des abricots… » Un peu plus tard, les événements lui donneront une bonne claque et le ramèneront vers le chemin de la sagesse. Mais il y a toujours un moment où il y a cette fracture chez Pagnol. C’est même un côté lutte des classes, c’est-à-dire les citadins contre les ruraux, ou le savoir contre l’instinct. Pagnol nous fait savoir que c’est toujours la sagesse qui vient remettre les choses en ordre. On se souvient de cette jolie phrase dans « La fille du puisatier », où la fille de Raimu tombe amoureuse du fils des quincailliers, qui sont les riches du village, et Raimu lui dit : « Méfie-toi des gens qui vendent des outils et qui ne s’en servent pas ». L’histoire pourrait être la même aujourd’hui, au XXIe siècle, car on retrouve la jalousie, la prétention, le bluff… Tout est transposable… Oui, cela nous arrive encore. Il y a encore un certain mépris de classe entre les citadins et les ruraux. On a bien vu cette condescendance que certains Parisiens ont eue vis-à-vis des Gilets jaunes qui campaient sur les ronds-points. Chez Pagnol, il y a toujours un moment où les garçons ou les filles font un petit pas de côté, avec quelques infidélités, mais ce n’est jamais très grave et ce ne sont pas de grandes trahisons. Nous avons tourné dans les collines d’Aubagne, en prenant les mêmes sentiers, en retrouvant les mêmes paysages et, entre le petit Léo Campion, qui incarne Marcel Pagnol, et le petit Baptiste Négrel, qui incarne son copain Lili des Bellons, il y en a un qui vient de la ville et l’autre qui vient de la campagne. Cela n’a pas changé depuis un siècle. Le petit Baptiste connaît parfaitement les collines. Il pourrait rester huit jours à se cacher dans les collines en trouvant de quoi manger et de quoi boire, alors que nous, les Parisiens, on mourrait de soif au bout de trois heures… Il suffisait de leur donner des bâtons et de les laisser courir dans la garrigue, je peux vous dire qu’ils n’ont plus envie de regarder une tablette de la journée ! On n’incarne pas un personnage de fiction, on incarne Marcel Pagnol luimême Vous avez effectué un travail d’équilibriste, comme si quelqu’un voulait refaire « La traversée de Paris » de
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