la baule+ 14 // Avril 2022 Comprendre le monde ► L’ancien maire de Pornichet décrypte le bouleversement du monde après la crise de la Covid 19 Jean-Claude Empereur: « C’est l’ensemble de la planète qui se reflète, à un moment ou un autre, sur notre table de travail, dans nos armoires ou dans nos assiettes. » Jean-Claude Empereur est énarque, haut fonctionnaire honoraire, ancien dirigeant de société et il est surtout connu dans notre région pour avoir été conseiller régional des Pays de la Loire et maire de Pornichet. En fin connaisseur de la géopolitique mondiale, il vient de publier avec Charles Zorgbibe une analyse sur le bouleversement du monde après la crise de la Covid 19. Un travail de 18 mois qui nous permet de comprendre le basculement vers l’Asie de la puissance politique et économique mondiale. Charles Zorgbibe est agrégé de droit public, professeur honoraire à la Sorbonne et recteur honoraire de l’académie d’Aix-Marseille. « Le nouvel échiquier. La société internationale après la crise de la Covid 19» de Jean-Claude Empereur et Charles Zorgbibe est publié chez VA Éditions. La Baule + : On nous a beaucoup expliqué que depuis la crise sanitaire, le monde n’est plus le même, avec une baisse de l’influence de l’Occident et une progression de l’Asie. C’est finalement ce qui ressort de vos travaux… Jean-Claude Empereur: C’est un livre collectif, avec 37 intervenants, et nous avons mis le projecteur sur un certain nombre d’éléments qui laissent penser que la géopolitique mondiale est en train de se modifier sensiblement. Un tiers de cet ouvrage est consacré à un regard sur l’évolution vers l’Asie au sens large : on commence par l’Inde et on termine par le Pacifique. C’est ce qui nous a le plus attirés, parce que l’on voit bien les tensions en mer de Chine méridionale, les tensions entre l’Inde et la Chine, et au Pakistan du côté du Cachemire, la situation de notre présence dans cette zone, comme en Nouvelle-Calédonie... Tout cela fait que tout cet ensemble doit retenir très fortement notre attention. Souvent, les gens ne s’intéressent pas à la géopolitique mondiale en considérant que ce qui est important, c’est ce qui se passe à proximité. Pourtant, la géopolitique mondiale a une incidence directe sur notre vie quotidienne… Ce qui se produit au bout du monde a aussi une influence sur notre vie locale… Qu’en pensez-vous, vous qui avez été maire de Pornichet ? Oui, c’est exact à plusieurs niveaux. D’abord, les leçons de la grande géopolitique se retrouvent au niveau local. Les relations entre les différentes communes, mais aussi les relations entre les communes, le département et la région, sont des relations de type géopolitique. Ce sont des relations de compétition, de coopération et de débats difficiles. Ce qui m’a frappé, dans l’expérience que j’ai eue à travers 12 années de mandat, c’est qu’il faut savoir se placer dans des positions de négociation, de compétition et de coopération. C’est le premier niveau de la poupée russe. Après, il y a le niveau planétaire avec cette dimension nouvelle que nos concitoyens sont en train de percevoir petit à petit, depuis une vingtaine d’années, et ils comprennent que la géopolitique impacte notre vie quotidienne. On le voit bien en ce moment avec la question de l’essence ou celle de l’importation du blé ukrainien. C’est l’ensemble de la planète qui se reflète, à un moment ou un autre, sur notre table de travail, dans nos armoires ou dans nos assiettes. On évoque beaucoup cette notion de nouvel ordre mondial qui oppose les mondialistes aux souverainistes. La bataille a-t-elle été gagnée par les mondialistes ? Quel est l’état des forces ? Vous avez raison de souligner que le clivage se fait entre deux conceptions de la vie politique internationale, avec les souverainistes d’un côté et les mondialistes de l’autre. Ce combat n’est pas récent, puisque nous étions exactement dans cette situation au moment du débat sur Maastricht. Il y avait ceux qui considéraient que le traité de Maastricht était attentatoire à la souveraineté nationale française, ce qu’il était, et ceux qui considéraient que l’idée de nation allait se dissoudre et que l’avenir était aux grands ensembles. Aujourd’hui, on se rend compte que les choses sont beaucoup plus compliquées et le sentiment national, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire la défense des intérêts vitaux d’un pays, est quelque chose qui l’emporte sur tout le reste, ce qui ne signifie pas que l’on ne peut pas coopérer entre les pays. Si l’on veut être un acteur majeur, on doit se rapprocher les uns des autres, se fédérer, mais conserver notre identité, notre histoire et notre culture À la période de la confrontation entre l’Est et l’Ouest, ce clivage se retrouvait-il aussi chez ceux que l’on appelait les non-alignés, qui étaient en quelque sorte les souverainistes de l’ancienne époque ? Vous avez raison, ce mouvement avait ce sens. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui devrait faire cette synthèse entre le souverainisme et le mondialisme, je parle du continent européen, car c’est nécessaire à l’équilibre du monde. J’évoque d’ailleurs cette notion de souveraineté concertée. J’ai cru un moment à la souveraineté européenne, mais je n’y crois plus aujourd’hui, car cela implique l’existence d’un État et je pense que ce n’est pas nécessaire. En revanche, on doit se concerter pour définir quelque chose qui permettrait à l’ensemble des pays européens de se définir dans cette évolution de la géopolitique mondiale, qui est tout de même un cycle de compétitions et d’affrontements. Si l’on veut être un acteur majeur, on doit se rapprocher les uns des autres, se fédérer, mais conserver notre identité, notre histoire et notre culture. Naturellement, la France devrait-elle en quelque sorte être le chef de file des non-alignés du XXIe siècle ? Concrètement, ni à l’Est, ni à l’Ouest, ni dans les souverainistes à 100 %, ni dans les mondialistes à 100 %… Vous avez tout à fait raison, c’est le nœud du problème. Quand on dit cela, on a le sentiment que la France est un pays exceptionnel, or c’est le cas, de par son histoire et sa culture. Dans les débats actuels, on n’ose pas avancer cette vision des choses, alors que c’est celle qui a le plus d’avenir, car la France est en quelque sorte un monde en réduction : en raison de notre position géographique, mais aussi par les différentes composantes de la nation, puisque c’est l’État qui a créé la nation en France et c’est l’État qui a rassemblé des peuples très différents qui se sont associés. Il ne faut pas perdre de vue notre présence ultramarine, car nous sommes le seul pays européen à être présent sur les cinq continents. Nous avons 2,5 millions de nos concitoyens qui vivent dans l’Atlantique, dans le Pacifique et dans l’Océan Indien, dans des points toujours très stratégiques. Notre présence est fondamentale, notam-
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