la baule+ 40 // Août 2022 People ► Rencontre avec l’un des humoristes les plus populaires… Booder : « Je me moque de la manière dont les gens me regardent. » La Baule + : Votre surnom, Booder, est venu d’une façon très originale puisque cela remonte à votre enfance… Booder : J’avais six ans. Je jouais très bien au football et les grands de mon quartier me prédisaient un avenir très professionnel. On était en 1985, il n’y avait pas encore toutes ces histoires d’agents de joueurs et j’étais fan d’Aziz Bourdebala qui faisait les beaux jours de l’équipe nationale marocaine et du Matra Racing. Je voulais lui ressembler et marquer son nom sur mon tee-shirt. Alors, j’ai voulu écrire au feutre Bouderbala. Mais comme il n’y avait pas assez de place, j’ai simplement écrit Booder. Après, dans mon quartier, dans le 10e arrondissement parisien, tout le monde m’a appelé Booder ! Vous êtes né auMaroc, à la frontière algérienne, c’est un peu la zone délaissée du Maroc… Je suis presque né du côté algérien, on a un pas du côté de l’Algérie et un autre du côté du Maroc. Ce ne sont pas les villes où ça bouge, mais c’est un coin qui a encore gardé son charme et ses palmeraies. Vous avez les codes des humoristes marocains: c’est un humour très particulier, que l’on a connu un certain moment chez Gad Elmaleh, la culture de l’observation et la provocation… Tout le monde connaît Booder : humoriste, comédien, il est sur tous les plateaux de télévision. Il est surtout un homme qui a eu plusieurs vies à cause de son physique atypique et grâce à ce physique. Né au Maroc, il est arrivé en France à peine âgé d’un an, en raison de problèmes de santé, Mohammed Benyamna a mis des années à trouver sa voie et il est aujourd’hui très populaire en France. C’est ce qui coule dans nos gènes. Les Franco-Marocains ont été éduqués ainsi. J’ai reçu une éducation marocaine à la maison et une éducation française à l’extérieur de la maison. Écrire un spectacle comique, c’est facile, il suffit de prendre des faits de notre vie qui ne sont pas drôles et de les rendre drôles Mais vous n’avez jamais vécu au Maroc ! C’est très typique : tous les gens qui ont des origines marocaines parlent le marocain et vivent à la marocaine. Quand on rentre à la maison, on est au Maroc et quand on sort de la maison, on est en France... On a cette manière d’être, même avec les voisins. Quand ma mère préparait un plat, il y avait toujours des portions pour les voisins. On avait un voisin corse, un autre israélien et un autre algérien, et on se passait les plats. On a gardé ce truc de Marocains. Quand on écrit son spectacle, on essaye d’être le plus vrai possible et de ne pas raconter quelque chose qui ne nous est pas arrivé. Écrire un spectacle comique, c’est facile, il suffit de prendre des faits de notre vie qui ne sont pas drôles et de les rendre drôles. C’est cela le travail de l’écriture comique. Nos aléas de la vie, c’est avec nos parents, c’est le quartier où l’on a grandi, je suis papa maintenant et j’ai de nombreuses interrogations. Nous avons la chance de ne pas aller chez le psy. On préfère faire un spectacle ! La comédie algérienne se rapproche beaucoup de la comédie italienne Chez les humoristes marocains, on retrouve une influence proche des pieds-noirs, celle que l’on a connue avec Robert Castel par exemple… C’est propre au Maghreb. La comédie algérienne se rapproche beaucoup de la comédie italienne. On est dans l’affreux, le sale et le méchant, on se moque du pigeon, c’est vraiment du Vittorio Gassman... Les Algériens ont une culture très forte de la comédie. Je suis frontalier, donc forcément je me nourris des deux côtés sur le plan culturel. Au Maroc, le one-man-show est arrivé très tard, on est surtout connu pour les pièces de théâtre. Si vous sautez carrément de l’autre côté, en Égypte, vous avez de grands comédiens, avec de grandes pièces de théâtre. Le côté stand-up est nouveau et il a ouvert beaucoup de portes. Il a rapproché les artistes de pays différents et de cultures différentes. J’ai eu la chance de faire des festivals avec des artistes ivoiriens, tunisiens ou algériens et tout le monde se retrouvait autour de cet art qui consiste à faire rire les gens. Vous évoquez l’Égypte : or c’est surtout le cinéma égyptien qui a dominé la culture arabe, avec ces films où une femme pleure pendant des heures parce que son mari la trompe… C’est exactement cela ! Au Maroc, tout le monde s’est nourri de ce style de cinéma égyptien, mais aussi du cinéma bollywoodien. J’ai appris plus tard que les chaînes de télévision arabes achetaient ces films parce que cela ne coûtait pas cher. Aujourd’hui, ce sont les séries turques qui coûtent moins cher et c’est pour cela que vous avez plein de séries turques pour les ménagères... Je ne vais pas faire un spectacle entier en comparant les hôpitaux marocains et les hôpitaux français. Dans leurs sketches, les Marocains ont souvent tendance à se montrer plus blédards qu’ils ne le sont… Je ne le fais pas. C’est un style, je ne trouve pas cela très cool. Je ne vais pas faire un spectacle entier en comparant les hôpitaux marocains et les hôpitaux français. Il est tellement facile d’aller dans ce sens. Je ne me moque pas du Maroc, je ne me moque pas des gens. Je fais de l’autodérision. Je me moque de la manière dont les gens me regardent. Je suis très porté sur le harcèlement scolaire. Je vais vous expliquer pourquoi. Quand j’étais petit, personne ne se moquait de moi, parce que j’étais quelqu’un de très drôle. Si tu te moques de moi, il faut vraiment que tu sois très fort parce que pendant deux heures, je vais être sur toi ! Tout le monde voulait avoir Booder comme copain, parce qu’il était toujours trèsmarrant et toujours vif. Sur scène, je raconte cela en faisant de l’autodérision. Mais je pense au gamin ou à la gamine qui n’ont pas ce répondant et pour qui l’école devient carrément une boucherie. C’est parfois un abattoir. Il faut savoir que des enfants vont à l’école à reculons parce qu’on leur dit qu’ils sont gros, bigleux, trop petits ou avec un grand nez… J’ai été éducateur de rue et, auparavant, j’ai travaillé dans des cantines scolaires pour divertir les enfants. J’ai vu ce monde des enfants qui est vraiment très dur. Dans le monde des enfants, il ne faut pas avoir le moindre défaut physique. Parfois, on se moque des filles parce qu’elles sont trop grandes, trop rondes ou trop petites. Avant, cela s’arrêtait à la cour de récréation. Ce qui est plus grave, c’est que maintenant cela continue via les réseaux sociaux quand on rentre à la maison. Cela pousse les enfants à aller jusqu’au… Jusqu’au suicide ? C’est un mot que je n’arrive pas à employer. Un jour, dans un train, un monsieur est venu me voir les larmes aux yeux en me racontant son histoire. Il montait à Paris parce que sa fille s’était défenestrée. Il avait entendu
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