la baule+ 32 // Août 2022 Société ► Réflexion autour du concept de résilience Stéphane Jacquot : « La résilience, c’est rebondir et se libérer. » Après avoir occupé plusieurs postes de responsabilités politiques, notamment auprès de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé, Stéphane Jacquot a rejoint Emmanuel Macron et il a été chef de cabinet au ministère de l’Agriculture. Maire adjoint Renaissance de Châtillon (Hauts-de-Seine), il a fondé l’Association nationale de la justice réparatrice. Il est également l’auteur de plusieurs publications sur les prisons et sur l’aide aux victimes. Dans son dernier livre, il aborde la question de la résilience à partir de son exemple personnel : «Comment peut-on se retrouver par deux fois orphelin, parvenir à sortir la tête de l’eau, de la précarité à la réussite, des ténèbres à la lumière ? » « Résilience. Quand la fragilité devient une force » de Stéphane, Jacquot est publié aux Éditions du Cerf. La Baule + : On utilise le terme de résilience à toutes les sauces et chacun a sa propre conception de la résilience : comment l’interprétez-vous ? Stéphane Jacquot : J’ai commencé ce livre dans le contexte du premier confinement. Nous étions dans une mesure de privation de liberté et l’on ne savait pas à quel moment ce confinement allait prendre fin. Donc, chacun dû faire preuve de résilience. D’ailleurs, il y a eu de nombreux mouvements de solidarité, ce qui prouve que c’est possible de façon collective. Je parle aussi de mon expérience dans mon livre, puisque j’ai connu des drames. Je suis orphelin après avoir perdu mon père et ma mère. J’ai également perdu ma mère adoptive dans un assassinat et, quand on raconte cette histoire, on se dit qu’il est difficile de se relever après toutes ces épreuves. Mais on peut se relever. Dans ma sphère privée ou professionnelle, lorsque je disais que j’étais orphelin, on m’a tout de suite trouvé plein d’excuses. Je ne veux plus que l’on me considère comme une victime parce que j’ai été orphelin, mais je veux que l’on me considère comme tout le monde parce que j’ai rebondi. Et c’est ce que je raconte dans mon histoire. On peut vivre des petits et de grands drames, et se relever. J’ai voulu raconter comment on peut épouser sa fragilité pour en faire une force. La première chose, c’est d’accepter, de formaliser son épreuve, et de rebondir ensuite. Tout dépend aussi de l’univers dans lequel on a grandi. Il y a des univers familiaux dans lesquels on a l’habitude d’exprimer ses sentiments, alors que dans d’autres familles c’est un peu plus difficile. J’ai eu le choix d’aller vers la haine, notamment lorsque j’ai perdu ma mère adoptive dans un assassinat Je vais faire un parallèle avec votre précédent livre, « Pardonner l’irréparable », pour évoquer le nom de Patrick Jardin. Ce père d’une jeune femme assassinée au Bataclan n’a pas fait preuve de résilience et il s’est engagé dans un combat politique contre l’islamisme, notamment auprès d’Éric Zemmour. À l’inverse, vous n’avez pas été dans le combat, mais plutôt dans l’écoute et le pardon. Je ne juge personne et je respecte chaque chemin de vie, mais comment expliquez-vous que deux personnes puissent réagir de façon aussi différente ? Qu’est-ce qui vous a amené à ne pas aller vers un autre chemin ? On a le choix d’aller vers un autre chemin. Je ne juge pas non plus Patrick Jardin, je salue sa souffrance, car, quand on perd un enfant, la haine est aussi un sentiment que l’on peut exprimer. À un moment donné, j’ai eu le choix d’aller vers la haine, notamment lorsque j’ai perdu ma mère adoptive dans un assassinat. La haine fait partie des sentiments que l’on peut avoir quand on est face à une souffrance terrible, en l’occurrence la perte d’un être cher. Imaginez que vous parcouriez un chemin avec un sac à dos très lourd. Dans ce sac, vous avez toute cette haine qui vous empêche parfois d’avancer. Donc, à un certain moment, il faut avancer. Mais il faut aussi avoir ce sac à dos pour comprendre le poids de sa souffrance. À un moment donné, j’ai décidé de lâcher ce sac à dos pour avancer. C’est de cette manière que je symbolise la résilience. Cela a été un soulagement pour moi. Il y a aussi le pardon, qui est quelque chose de très personnel. Mais le pardon ne peut pas être fait sans justice. J’ai pu pardonner à l’auteur qui a assassiné ma mère adoptive. Mais après le travail de la justice car, sans justice, on ne peut pas pardonner. Je vais vous donner un autre exemple : quelques jours avant son départ de Matignon, Jean Castex m’a nommé pour travailler sur la réparation et la reconnaissance des harkis. Peut-on parler de résilience pour ces harkis qui vivent encore des souffrances par rapport à cette période ? La résilience permet aussi de revenir à l’essentiel et de rebondir face à des grands ou des petits drames. Dans mon livre, je raconte des parcours de résilience, comme l’histoire d’un SDF qui décide de se réinsérer après trente ans de rue, mais aussi d’une personne gravement malade qui a pu affronter la maladie grâce à son entourage. Il y a également la chanteuse Barbara qui a écrit deux textes forts pour raconter son drame, en l’occurrence le viol par son père. Quelques années après L’Aigle noir, elle reçoit un appel de l’hôpital de Nantes qui lui propose de venir au chevet de son père. Elle prend le premier train, elle arrive à Nantes pour la première fois. Il pleut sur Nantes... Mais elle apprend qu’il est trop tard. Elle a mis un an pour écrire ce très beau texte sur Nantes. Elle était dans cet îlot de beauté pour se protéger et c’était sa façon de vivre sa résilience. Donc, on voit bien que la résilience n’est pas vécue de la même manière par tout le monde. Il n’y a pas de mode d’emploi, mais on peut dire que la résilience, c’est rebondir et se libérer. Il ne faut pas oublier qu’il y a toujours un rayon de soleil dans un ciel nuageux. La résilience est aussi un phénomène physique car, face à l’aléa, on essaye de maintenir un cap Dans l’histoire du monde, la résilience a aussi constitué un moyen pour des États de poursuivre la vie de la Nation. Ainsi, après une guerre, il y a toujours des règlements de comptes entre les gens de différents camps. On chasse les collabos mais, lorsque la justice est passée, le roi ou le président invite la Nation à faire preuve de résilience en décrétant une amnistie générale. Si l’on ne remet pas les compteurs à zéro, la Nation ne peut plus survivre… Il y a un phénomène de continuité dans la résilience. Le président de la République, quelques jours après le confinement, a immédiatement utilisé ce terme en confiant une mission à l’armée qui est une institution qui connaît bien la résilience. C’est vrai, des chefs d’État ou des rois, par le passé, ont souvent demandé à la Nation de faire preuve de résilience. Notre pays a subi deux guerres mondiales et ces guerres ont montré que le peuple français a su faire preuve de résilience. La résilience est aussi un phénomène physique car, face à l’aléa, on essaye de maintenir un cap. J’exerce des responsabilités dans un ministère, je travaille sur l’agroalimentaire, car le gouvernement doit apporter une réponse pour maintenir ces secteurs. Les solutions sont souvent financières, mais on parle aussi de résilience. L’humain a toujours besoin de paix Faut-il se préparer à la résilience ? Vous connaissez l’influence philosophique de Paul Ricoeur, évoquée par Emmanuel Macron. En ce moment, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. Certes, on peut dire que nous sommes dans un sévère bras de fer, mais Emmanuel Macron a aussi déclaré qu’il ne fallait pas humilier les Russes et Poutine, afin de préparer l’avenir. Ces propos reflètent-ils une manière d’anticiper la résilience ? La résilience s’applique face à l’aléa et c’est instantané. Emmanuel Macron a toujours eu le souci de maintenir un dialogue avec Vladimir Poutine et c’est vrai que le président a cette qualité qui est de pouvoir maintenir un dialogue dans la difficulté. Le dialogue est toujours nécessaire. J’ai travaillé au ministère de l’Intérieur, où j’ai connu la gestion de crise, et le dialogue avec la partie adverse est toujours nécessaire. Quand il y a une prise d’otages, les groupes de la police ou de la gendarmerie instaurent un dialogue pour essayer de trouver une sortie. Aujourd’hui, l’Ukraine essaye de trouver des solutions avec la Russie par un dialogue. Il faut toujours tenter le dialogue. Stéphane Jacquot passe toutes ses vacances à Pornic
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