La Baule+

La Baule + : Lorsque l’on observe la composition de la nouvelle Assemblée nationale, entre les députés NUPES, ceux de la majorité et ceux du RN, on se doute que la bataille des mots risque d’être de grande ampleur au cours des cinq prochaines années… François-Bernard Huyghe : Très certainement, la bataille pour le sens des mots, pour le droit d’utiliser des mots ou pour les symptômes que révélerait l’utilisation des mots, devient de plus en plus importante. Il est normal que des gens opposés idéologiquement n’utilisent pas le même vocabulaire. Quand j’étais jeune, contradictions internes ou forces productives, cela indiquait plutôt que la personne était marxiste et cela passait très bien. Maintenant, on se bat pour des expressions qui tournent en rond sur les plateaux de télévision comme «grand remplacement », «islamo-gauchisme » ou «valeurs de la République». Il y a une tentative de prendre l’hégémonie idéologique en imposant des mots. Ce n’est pas un procédé nouveau, cela existe depuis quelques siècles. Ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel, puisque des auteurs remarquables comme Orwell ont parfaitement expliqué la baule+ 16 // Août 2022 Communication ► Le vocabulaire est aussi une arme politique et médiatique François-Bernard Huygue: « On attrape les mots comme des virus, ils circulent dans l’air, on les répète, on se conforme au style de vocabulaire que l’on a entendu à la télévision. » François-Bernard Huygue est docteur d’État en sciences politiques, HDR, et directeur de recherche à l’IRIS. Spécialiste de l’influence stratégique et du cyber, il a publié plusieurs ouvrages sur l’influence et la désinformation, dont « Maîtres du faire-croire - De la propagande à l’influence », et « Désinformations - Les armes du faux ». Son nouveau livre est une contribution à la compréhension du résultat de l’élection présidentielle et des élections législatives. Il analyse la rhétorique des candidats, les mots qui se sont imposés et ceux qui ont fait polémique. Derrière, il invite le lecteur à comprendre les mécanismes de la manipulation de l’information via la presse, les médias et les réseaux sociaux. « La bataille des mots. Le vocabulaire comme arme en politique » de François-Bernard Huygue est publié chez VA Éditions. COLLECTE, DESTRUCTION ET RECYCLAGE DE VOS ARCHIVES PROFESSIONNELS ET PARTICULIERS Tél. 06 82 94 67 89 - www.classarchiv.fr Leguignac - HERBIGNAC - classarchivdestruction@gmail.com . Gain de place dans vos locaux . Sécurité et confidentialité . Conseils en matière des délais de détention des archives . Remise d’un certificat de destruction la chose. Simplement, il y a un émiettement des luttes et on voit que des vocabulaires tentent de s’imposer : comme le vocabulaire woke, par exemple. Il y a une bataille quotidienne pour l’emploi des mots Vous expliquez que de nombreux Français n’ont pas compris le sens de cette bataille des mots et se laissent influencer par des accusations en pensant que c’est la réalité, alors qu’il s’agit d’un stratagème idéologique pour discréditer l’autre… On attrape les mots comme des virus, ils circulent dans l’air, on les répète, on se conforme au style de vocabulaire que l’on a entendu à la télévision... C’est vrai, c’est une imprégnation très lente. J’ai travaillé sur 45 mots et, pour chacun de ces 45 mots, j’ai trouvé un livre récent de quelqu’un qui s’interrogeait sur son sens. Il y a une inquiétude sur les pouvoirs de la langue chez les intellectuels mais, en même temps, il y a une bataille quotidienne pour l’emploi des mots : comme complotisme, qui est devenu une injure extrêmement vague, mais qui ressort dans tous les débats télévisés. Nous faisons beaucoup plus attention au sens des mots sans être forcément conscients de tout ce qui se cache derrière. Le terme de complotiste permet de traiter de paranoïaque pas très malin toute personne qui doute de la vérité officielle Évoquons le terme de complotiste qui dénonce ceux qui remettent en cause une vérité officielle. Or, en 2003, Dominique de Villepin était un complotiste, puisqu’il était le seul occidental à affirmer à l’ONU que Saddam Hussein n’avait pas d’armes chimiques… Il y a d’abord des affirmations de fait, des affirmations relatives à la vérité. Je me souviens très bien de cette époque où tous ceux qui avaient le moindre doute sur les armes de destruction massive de Saddam étaient des agents de Saddam et des complotistes méchants hors du cercle républicain. Heureusement, l’histoire nous a donné raison, sinon tous ceux qui émettaient des doutes à cette époque seraient aujourd’hui considérés comme des dingues. Mais il y a aussi des vrais complots. Il y a certainement eu un complot pour l’assassinat de Kennedy, mais je sais qu’il y a 63 thèses. Cela va des services secrets russes, aux services secrets américains, en passant par la mafia et les grands pétroliers texans. L’une de ces thèses doit être vraie, mais je mourrai avant de savoir laquelle, tellement c’est compliqué... Quand il y a eu l’épidémie de Covid, tous ceux qui attribuaient l’origine de ce virus à une fuite d’un laboratoire étaient traités de fous ou de conspirationnistes, face à la thèse officielle qui disait que cela venait du pangolin ou de la chauve-souris. Il y avait des débats du même genre à propos des origines du Sida. Aujourd’hui, la thèse officielle sur la transmission de la Covid de l’animal à l’homme est considérée comme beaucoup moins évidente et beaucoup de gens, y compris aux États-Unis, estiment qu’il y a peut-être eu une fuite dans un laboratoire. Je pense qu’on ne le saura jamais, parce que nous n’aurons jamais la vidéo du laborantin qui fait la fausse manœuvre et jamais non plus la confession écrite du pangolin… Il faut savoir que le complotisme est une tendance assez naturelle de l’esprit humain. Le terme de complotisme a été dénoncé par le philosophe Karl Popper, après la Seconde Guerre mondiale, pour désigner des phénomènes bien connus, comme les protocoles des Sages de Sion ou ces théories qui attribuaient un pouvoir diabolique et caché aux jésuites, aux juifs, aux francs-maçons, bref, aux sociétés secrètes. Combattre cette tendance à attribuer un pouvoir tout-puissant à une bande d’hommes qui se cacheraient, c’est normal, mais c’est aussi devenu un phénomène très facile pour ridiculiser un adversaire. Premièrement, il y a des vrais complots, ils échouent en général, mais il y a des groupes qui essayent de s’emparer du pouvoir ou d’avancer leurs idées en se dissimulant. Je crois qu’ils ne sont pas tout-puissants. L’erreur du complotiste, c’est d’attribuer tous les pouvoirs et tous les événements qui se produisent à des groupes secrets dont personne ne devinerait l’existence, sauf ceux qui sont particulièrement intelligents… Cela n’empêche pas qu’il y ait des groupes qui essayent de défendre des intérêts communs, en faisant avancer des idées politiques. Mais ils ne se réunissent pas forcément avec un masque dans une cave. Parfois, les choses se produisent parce que les gens ont eu la même éducation, habitent dans les mêmes quartiers, lisent les mêmes journaux... Donc, ils ont tendance à penser la même chose. Le terme de complotiste permet de traiter de paranoïaque pas très malin toute personne qui doute de la vérité officielle ou, plus généralement, quiconque n’admet pas l’explication idéologie dominante. Dans ce contexte Karl Marx n’aurait-il pas été un complotiste ? Dans cette bataille des mots, on essaye aussi de discréditer son adversaire en l’accusant d’être contre les valeurs de la République. L’opposition à la République, c’est la monarchie ou la dictature. Or, par définition, toute personne qui se présente aux élections en acceptant d’avance le résultat du suffrage universel si elle échoue,

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