La Baule+

la baule+ 16 | Mars 2024 Jean Alséda : « L’Europe devenait un concurrent et une menace pour les intérêts de l’impérialisme américain. » Jean Alséda habite à Guérande. Il a été professeur de français à Saint-Nazaire et il est aussi connu pour son parcours de syndicaliste. Il publie un livre passionnant, un récit historique sous forme de fiction, pour nous rappeler ce qu’était le traité de Rapello. En ce centième anniversaire de la mort de Lénine, il traite également de son dernier combat, la mise en œuvre de la NEP (Nouvelle politique économique) pour tenter de sauver l’État ouvrier de la dégénérescence bureaucratique qu’il redoutait. Jean Alséda aborde par ailleurs des questions politiques afin de souligner quelques leçons à en retirer, notamment sur l’Ukraine, la Russie et le rôle des États-Unis. L’ouvrage est plaisant à lire car c’est une fiction historique et il est surtout parfaitement documenté et sourcé. « Rapallo - Un Traité qui voulut changer la face du monde » de Jean Alséda est vendu 15 euros dans les librairies indépendantes suivantes : Le Plan B à La Turballe, L’Esprit Large à Guérande, la Librairie Lajarrige à La Baule et L’Embarcadère et L’Oiseau Tempête à Saint-Nazaire. Histoire ► Le traité de Rapallo et le rôle des États-Unis pour empêcher toute alliance entre l’Europe et la Russie La Baule+ : Vous publiez une fiction pour raconter des moments historiques concernant Lénine. Est-ce aussi une manière de nous raccrocher à l’actualité ? Jean Alséda : Quand j’ai écrit ce livre, je ne me doutais pas que la guerre allait éclater en Ukraine. Je pressentais qu’il allait se passer des choses. Il y avait la guerre des pipelines, les accords de Minsk n’étaient pas respectés et les bombardements du Dombass avaient quand même fait 15 000 morts. La guerre des pipelines, c’étaient les Ukrainiens qui siphonnaient le pétrole, alors que l’Allemagne était le premier client de la Russie. Le fait que l’Allemagne soit adossée à l’immense richesse des matières premières russes provoquait l’inquiétude des Américains. On peut revenir sur le livre de Brzezinski, « Le Grand Échiquier », mais on sait aussi que le département d’État des États-Unis a toujours eu la hantise d’un rapprochement entre Moscou et Berlin. Il y avait aussi la pression de l’OTAN sur la Russie. J’ai toujours pensé qu’il allait se passer quelque chose, car Poutine ne pouvait pas laisser faire et, en même temps, les Américains ne pouvaient plus tolérer cet échange commercial qui mine leur compétitivité. Les grandes multinationales de l’énergie aux États-Unis étaient en état de surproduction avec leur gaz de schiste. Les Américains ne pouvaient pas supporter une telle situation. L’Europe devenait un concurrent et une menace pour les intérêts de l’impérialisme américain. Rapports entre les États-Unis, l’Allemagne et la Russie : c’est ce triangle qui a fait l’histoire Vous avez senti cette exaspération des Russes face aux accords de Minsk qui n’ont pas été respectés et aux bombardements dans le Dombass. On pouvait penser que cette remise en ordre ne serait qu’une simple opération de police, puisqu’à l’époque on disait que l’Ukraine était un régime corrompu et les députés européens ont même publié des rapports sur la corruption des élites. Or, en deux ans, ce pays infréquentable est devenu un modèle. Comment expliquez-vous cela ? Effectivement, l’Ukraine a toujours été une position stratégique dans la géopolitique mondiale et Brzezinski explique cela parfaitement. En analysant cette situation, j’ai voulu retrouver dans l’histoire d’autres éléments sur les rapports entre les États-Unis, l’Allemagne et la Russie. C’est ce triangle qui a fait l’histoire. Il existe une situation dans laquelle les rapprochements entre Berlin et Moscou ont été un scandale international. Je suis donc revenu sur ce traité de Rapallo en 1922. Ce qui s’est passé est très important, puisque c’est finalement ce qui a préfiguré les drames futurs. Mon livre est une fiction historique qui respecte l’histoire. Je me suis fait un devoir de montrer cette fiction à une série d’historiens qui ont attesté que je ne trahissais pas l’histoire. Entre la littérature romanesque et la littérature grise, il émerge une espèce de littérature-vérité, des autobiographies ou des fictions historiques, qui devient de plus en plus importante. Les gens veulent comprendre et, pour comprendre le monde d’aujourd’hui, il faut aussi connaître l’histoire. Les bolcheviques arrivent au pouvoir et, pour sortir de cette misère, il n’y a pas 36 solutions. Alors, on est obligé de passer par une phase de capitalisme d’État Votre livre permet également de comprendre ce que signifiait la nouvelle politique économique russe… C’est un traité qui a été passé après la Première Guerre mondiale par deux immenses pays qui s’étaient retrouvés dans une situation catastrophique : l’Allemagne vaincue et humiliée, avec des phénomènes de famine, et la Russie totalement ruinée. Ces deux pays, qui ont des potentiels immenses, se sont retrouvés pour passer un accord commercial à la barbe des alliés, en profitant des circonstances. Ils avaient été invités à cette fameuse conférence de Gênes pour la reconstruction de l’Europe. Rapallo est une plage située à côté de Gênes et il y avait un grand hôtel dans lequel les délégations soviétiques et allemandes se retrouvaient. Il y avait des personnages extraordinaires, comme Rathenau, du côté allemand, et Rakovski, qui a été le premier président de la République ukrainienne. Il n’était pas ukrainien, il n’était pas roumain, il n’était pas bulgare, il n’était pas russe.... C’était un problème de nationalité à lui tout seul et il s’est retrouvé président de la République en Ukraine. Ces deux personnages ont passé un accord car, du côté allemand, il fallait sortir de la misère en s’appuyant sur les richesses de la Russie, et, du côté russe, Lénine voulait promouvoir cette fameuse nouvelle politique économique. C’est l’introduction des normes capitalistes dans la production et dans l’échange. La Russie est ruinée, il y a eu des millions de morts après la guerre, le socialisme de la misère, cela n’existe pas. D’ailleurs, le socialisme n’a jamais existé en Russie. Les bolcheviques arrivent au pouvoir et, pour sortir de cette misère, il n’y a pas 36 solutions. Alors, on est obligé de passer par une phase de capitalisme d’État. Cela a totalement été incompris à l’époque et il y a eu des discussions extrêmement sévères. Il y avait une vie dé-

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEyOTQ2