La Baule+

la baule+ Avril 2024 | 13 frontaliers. 75 à 80 % des demandeurs d’asile restent dans les pays du Sud et ceux qui viennent jusqu’au Nord sont une toute petite minorité. Nous sommes dans des sociétés de plus en plus polarisées sur le plan politique et qui vont faire de ce sujet un objet de disputes permanent, avec des images qui vont créer de l’angoisse et une question quasi identitaire dans les opinions publiques du Nord qui, pour certaines, se sentent envahies. Je ne place pas sur le même plan linguistique la définition du migrant et du demandeur d’asile… Absolument. Il y a aussi un autre danger qui guette de plus en plus les populations: c’est le changement climatique. Le changement climatique, qui bat son plein au Sud, est en train de priver des populations entières de la possibilité de boire de l’eau, de se nourrir, donc de survivre. On peut donc se poser la question si ce sont des migrants économiques ou des demandeurs d’asile. Franchement, ces gens fuient une vie invivable. Iran : ces femmes qui enlèvent le voile méritent tout notre soutien Constatez-vous davantage de persécutions en fonction des opinions politiques ? Oui, parce que partout l’autoritarisme est en augmentation. Regardez ce qui se passe aujourd’hui en Iran : il y a au moins 400 personnes tuées dans des manifestations pour la libération des femmes et vous imaginez bien le sort qui est réservé à ceux qui osent s’exprimer contre les ayatollahs et le régime actuel. Ces femmes qui enlèvent le voile méritent tout notre soutien. On ne peut pas avoir un discours de soutien et, en même temps, lorsqu’une opposante frappe à notre porte, lui répondre que l’on ne peut pas l’accueillir. Il faut aller jusqu’au bout de ses convictions. Il faut toujours penser les règles comme si elles devaient s’appliquer à nous ou à nos enfants demain L’informaticien Edward Snowden demande l’asile, ce qui signifie que l’on peut également recevoir des sollicitations de citoyens occidentaux… Absolument. C’est pour cela qu’il faut avoir à l’esprit que l’asile peut concerner tout le monde. D’ailleurs, dans l’histoire, les Européens ont dû parfois quitter leur pays pour aller s’installer en Amérique ou ailleurs. C’est un réflexe très humain que de vouloir sauver les siens et cela se comprend. Il faut toujours penser les règles comme si elles devaient s’appliquer à nous ou à nos enfants demain. J’ai lu récemment un texte de prospective d’un universitaire dans le journal Le Monde. Il imagine qu’il est impossible de trouver de l’eau en France en 2040, et les populations doivent se déplacer pour espérer trouver une vie meilleure ailleurs. Si l’on se met dans cette configuration, je vous assure que les règles seront pensées de façon plus équitable. Il faut aller vers la sobriété sans pour autant tomber dans la pauvreté Vous évoquez aussi la question du climat : estce une nouvelle réalité ? Tout le monde a conscience du changement climatique. Je suis aussi directrice de l’O.N.G. fondée par Bono, le chanteur de U2, qui travaille sur la solidarité internationale. On essaye de sortir les gens de leur extrême pauvreté dans leur pays, pour éviter qu’ils s’en aillent de chez eux. Si l’on prend l’exemple du continent africain, il faut avoir conscience que les sécheresses sont une réalité absolue et que chaque été, ce sont des millions de têtes de bétail qui périssent. Le désert du Sahara s’étend de plus de 50 kilomètres par an au Mali. Vous avez aussi des inondations, des feux de brousse à répétition qui créent des maladies que l’on croyait avoir disparu. Je prends l’exemple de la peste qui est de retour à Madagascar et les feux de brousse ont un effet très direct, puisque ces maladies se propagent dans les villes. Le changement climatique est une réalité, et encore plus dans les pays qui ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre, car ce sont les pays les moins industrialisés. On est tous dans le même bateau et, si certains subissent quelque chose qu’ils n’ont pas créé, on doit les aider à en sortir. J’ai remarqué que dans le débat public, quand on dit cela, on nous rétorque que l’on veut nous imposer les modes de vie des pays pauvres. Pas du tout, il faut aller vers la sobriété sans pour autant tomber dans la pauvreté. C’est faisable. Le bon exemple, c’est l’industrie du textile. Autrefois, quand un vêtement était abîmé, on le rapiéçait et cela a duré longtemps. Aujourd’hui, on déséquilibre complètement les choses avec un système insupportable, avec des vêtements produits au Bangladesh ou ailleurs, en faisant travailler des enfants, dans des conditions insupportables. Ensuite, avec la publicité, on incite les consommateurs à changer de vêtements toutes les trois semaines, donc à en acheter de plus en plus. Je ne suis pas sûre que cette surconsommation rende les consommateurs plus heureux. À la fin, comme il faut désengorger les armoires, on va mettre les vêtements dans les bacs, en se disant que cela va être distribué à des gens plus pauvres. Mais, en réalité, il y a une infime partie qui est redistribuée, car il y a tellement de vêtements que, pour l’essentiel, il faut s’en débarrasser autrement. Je vais vous surprendre : on s’en débarrasse en les renvoyant dans le Sud, notamment au Ghana, et ces pays se retrouvent complètement noyés par cette quantité de pièces de vêtements dont ils ne savent pas quoi faire. Ce sont des millions de pièces. Tout cela atterrit dans des décharges à ciel ouvert. C’est un système affreux. La pauvreté et l’extrême pauvreté, ce n’est jamais la fatalité, c’est la création de l’homme. Donc, on doit pouvoir y remédier. Il ne faut pas baisser les bras en se disant que ce sont des défis monstrueux. Mais, pour les prendre à bras-le-corps, il faut arrêter avec les caricatures et les polémiques permanentes. Propos recueillis par Yannick Urrien.

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