La Baule+

la baule+ 18 // Juin 2023 La Baule+ : L’intelligence artificielle est-elle intelligente ? Peut-elle être comparée au premier de la classe qui apprend par cœur ses leçons, face au débrouillard ? Hugues Bersini : Il n’y a pas qu’une intelligence artificielle. Dès les années 50, au moment des premiers travaux, l’idée était de reproduire le type de performances cognitives dont les hommes sont dotés, comme résoudre des problèmes mathématiques ou jouer aux échecs. Déjà, à l’époque, on travaillait sur la traduction de textes. Cela demande une certaine dose d’intelligence et on a fait des logiciels qui se sont inspirés du fonctionIntelligence artificielle ► Comment les algorithmes contrôlent notre vie quotidienne Hugues Bersini : « Ces outils peuvent être redoutables quand ils sont à la disposition d’un pouvoir dictatorial. » Hugues Bersini, membre de l’Académie royale de Belgique, enseigne l’informatique aux facultés polytechniques et Solvay de l’Université libre de Bruxelles, dont il dirige le laboratoire d’intelligence artificielle. Il est également co-fondateur du nouvel Institut FARI financé par le plan de relance de la Communauté européenne et dédié à la réalisation d’algorithmes pour les biens publics. Il a publié une dizaine de livres d’introduction à la programmation, l’intelligence artificielle et les systèmes complexes, qui font aujourd’hui autorité dans le monde académique. Dans son dernier ouvrage, il analyse le pouvoir des algorithmes dans notre vie quotidienne : nous nous y conformons sans aller outre, par confort, par facilité, par habitude ou lassitude. « Algocratie : Allons-nous donner le pouvoir aux algorithmes ?» d’Hugues Bersini est publié aux Éditions De Boeck Sup. Je suis d’accord. On peut supposer qu’il y a certains pans de notre vie dont il est nécessaire de minimiser les échecs, surtout quand ils ont un impact sociétal important. Je fais une grande différence entre la liberté individuelle, le libre arbitre, le droit de se tromper et la problématique collective qui fait que, quand on vous donne trop de liberté, cela peut avoir des effets négatifs sur le vivre ensemble. Si l’on pensait un peu mieux les algorithmes, ils pourraient formater nos existences pour aller vers un intérêt collectif plus fort. Par exemple, en termes de mobilité, plus personne ne s’y retrouve et, sur le plan collectif, il y a beaucoup de dommages. Quelques recommandations de la part des algorithmes seraient quand même une bonne chose face à la complexification du monde, notamment sur le plan environnemental. C’est vrai, pour les rencontres d’un soir, je suis nostalgique de l’époque où la rencontre était un peu fortuite dans des bars ou dans des restaurants. Maintenant, cette automatisation me surprend. Beaucoup de gens s’en réjouissent. C’est l’époque… Dans l’histoire du monde, chaque fois que les sociétés ont tenté d’être contrôlées pour leur bien, cela s’est toujours très mal terminé… C’est vrai, l’histoire est effrayante. Même la France a été traversée par des ingénieurs sociétaux et l’on a bien vu comment les choses ont dérapé dès lors que l’on donne trop de contrôle aux instances régulatrices. Mon remède, c’est qu’il existe déjà des systèmes de régulation sociale, comme le droit et la politique, pour essayer de trouver un curseur entre la liberté individuelle et le bien-être collectif. Les algorithmes peuvent accompagner ce contrôle social. La Chine montre ce que l’on peut faire avec le crédit social, qui a complètement modifié la vie des Chinois. C’est vraiment impressionnant, ils sont surveillés dans leur vie quotidienne. Ce n’est pas du tout la société que je veux, mais c’est efficace… La crise sanitaire a été un point très fort dans cette transition Les régimes nazis ou communistes étaient aussi très efficaces dans le contrôle des populations… Oui, ces outils peuvent être redoutables quand ils sont à la disposition d’un pouvoir dictatorial. Néanmoins, on doit affronter aujourd’hui une complexification de plus en plus forte et les algorithmes peuvent nous aider à gérer cela. La crise sanitaire a été un point très fort dans cette transition. Je me suis beaucoup impliqué dans l’écriture d’algorithmes pour la gestion du Covid et j’ai été effrayé par cela. Pourtant, cela partait d’une bonne intention que d’être aidé, notamment à travers le traçage des populations. J’ai écrit des algorithmes pour favoriser la vaccination, puisqu’il fallait vacciner prioritairement certaines nement cognitif. Donc, ces logiciels avaient déjà quelque chose de typiquement intelligent. Au fil des années, l’intelligence artificielle a pris une autre voie, en apprenant par elle-même, mais aussi en se servant des productions humaines existantes, ce qui est le cas de ChatGPT. Quand le logiciel apprend, on retrouve les mêmes stratégies que celles déployées par des humains. Donc, il y a déjà de l’intelligence. Pourtant, l’algorithme n’est pas de l’intelligence… Effectivement. C’est le sujet que j’aborde dans mon livre. Nous observons tous les jours que ces outils nous gouvernent, quand vous vous déplacez avec votre GPS ou quand vous faites la moindre transaction bancaire. Même l’algorithme de Tinder peut vous recommander un compagnon ou une compagne… Les algorithmes sont partout. On a la preuve de leur efficacité, puisqu’on les utilise, mais le problème est celui de leur légitimité à gérer nos vies. Il va falloir repenser tout cela car ces outils sont devenus indispensables dans notre vie quotidienne. On utilise ces outils parce qu’ils sont efficaces et vous prenez l’exemple des rencontres d’un soir. Pourtant, la vie humaine n’est-elle pas faite de l’apprentissage issu de ses échecs ? Si les générations futures ne se trompent plus grâce un algorithme efficace, elles ne sauront plus ce qu’est la vraie vie…

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