La Baule+

la baule+ Juin 2022 // 23 l’information coïncide, mais ils préconisent un renforcement de votre surveillance pour savoir si vous pouvez être une ressource exploitable… Absolument. J’étais déjà sortie du cadre. Dans ce contexte, tout est scanné. Ce qui est aussi incroyable, c’est qu’il n’y a jamais personne. C’est comme une machine. L’utilisation du passif est permanente, on ne sait jamais qui est la personne, le langage reste le même : cela a été fait, ce sera effectué… Le communisme est une immense entité anonyme qui vous broie. Il est difficile de comprendre le niveau d’angoissequevous ressentez lorsque vous êtes approchée, parce que vous savez que vous n’avez pas le droit de refuser… On a une marge, mais il ne faut jamais céder, il faut immédiatement casser tout cela. À l’époque, la Stasi m’avait dit que je ne devais absolument pas parler de leur proposition à qui que ce soit, y compris à mes parents. Mais c’est la première chose que j’ai faite, parce que j’avais compris que je ne devais pas garder cette pression pour moi. Il faut toujours se demander ce qui risque d’arriver si l’on s’engage dans quelque chose qui risque de vous encercler très rapidement. Au début, il y a quand même une marge de manœuvre. À l’époque, je suis allée voir une professeure à la faculté, un peu par hasard, je ne sais pas pourquoi j’ai fait cela. Elle m’a fait comprendre que beaucoup de gens acceptaient des missions pour des avantages en nature. La Stasi est revenue en me demandant si j’avais parlé à d’autres personnes et j’ai répondu par la négative. Cette jeunesse a-t-elle conditionné vos réflexes aujourd’hui ? Oui, je n’ai pas les mêmes réflexes, même si les choses s’estompent. Par exemple, j’ai la hantise d’avoir toujours les bons papiers, je n’aime pas les postes-frontières. Je redoute tout ce qui peut être arbitraire… Au début, je venais de m’installer à Paris et un gars est venu sonner chez moi au moment du recensement. J’ai eu peur, je l’ai jeté dehors, le pauvre tremblait... Au début, je n’avais pas de mutuelle, un médecin a sorti des antibiotiques de son tiroir, dans un dispensaire. Et j’ai tout jeté en me disant que c’était en réalité des expériences sur des humains... Aujourd’hui, personne ne sait vraiment si vous êtes quelqu’un de courageux ou non On a beaucoup entendu, au cours de ces dernières années, sur les réseaux sociaux, des gens se plaindre que nous étions dans une dictature en France. Qu’en pensez-vous, vous qui avez vraiment vécu dans une dictature ? Les gens ne savent pas ce qu’ils ont ! Et, le jour où cela se produit, c’est déjà un peu tard. En Allemagne, pendant le confinement, on évoquait les dangers pour la démocratie. Je vois cela aussi clairement, mais en même temps on ne se rend pas compte de la chance que nous avons. Il faut aussi s’interroger sur l’engagement et ne pas laisser filer des choses que l’on ne devrait pas laisser filer. Il y a toujours beaucoup de cacophonie, mais il y a quand même des polarisations qui nous nuisent à tous et, tant que cela existe, il y a danger. Si chaque catégorie lutte pour ses intérêts, il n’y a plus de cohésion. Par exemple, si je parle de l’amitié, il faut aussi s’interroger sur le sens de ce mot. En RDA, nous avions plus l’occasion de faire nos preuves en tant qu’amis ou proches. Il y avait beaucoup d’occasions où il fallait montrer de quel bois l’on était, car parfois on pouvait risquer sa vie, donc c’était forcément moins tiède. Aujourd’hui, personne ne sait vraiment si vous êtes quelqu’un de courageux ou non. Regardez comment les gens se sont déchirés sur la question de la vaccination, en disant à des amis proches qu’ils ne voulaient plus les recevoir parce qu’ils n’étaient pas vaccinés… Cela dévoile les gens. Malheureusement, c’est toujours dans des occasions dramatiques, jamais dans la banalité. Propos recueillis par Yannick Urrien.

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