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la baule+ 18 // Juin 2022 Augustin de Colnet : « Les rapports de force sont violents et la compétition mondiale devient terrible. » Intelligence économique ► Les risques auxquels sont confrontées les entreprises françaises Dans la compétition internationale, les entreprises françaises doivent affronter des risques que l’on peut classer en sept grandes familles: la dépendance, la réglementation étrangère, la manipulation de l’information, la perte d’informations confidentielles, la dégradation de la réputation, les facteurs humains, et les actions hostiles criminelles. Avec son dernier livre, Augustin de Colnet sensibilise les différents acteurs, les dirigeants, mais aussi les responsables politiques, à la situation complexe à laquelle sont confrontées nos entreprises. Diplômé d’un master en stratégie d’intelligence économique de l’École de guerre économique (EGE), Augustin de Colnet s’est spécialisé dans l’analyse et l’anticipation des risques en intelligence économique. « Compétition mondiale et intelligence économique - Grille d’analyse des risques » d’Augustin de Colnet, est publié chez VA Éditions. Depuis la crise sanitaire, nous sommes devenus complètement dépendants des Chinois La Baule + : Traditionnellement, lorsque l’on parle d’intelligence économique, on évoque toujours les risques d’espionnage sur les brevets. Toutefois, vous classez parmi les nouvelles menaces, pas simplement le piratage, mais aussi la dépendance à l’égard d’un fournisseur ou d’une technologie. Or, la plupart des entreprises françaises sont dépendantes des GAFAM… Augustin de Colnet : Il faut rappeler le contexte dans lequel nous vivons en citant Alain Juillet, ancien responsable de la DGSE, qui a une parfaite connaissance des questions liées à l’intelligence économique et qui dresse ce constat très important. Depuis les années 2000, nous avons des concurrents internationaux qui maîtrisent les mêmes produits que nous et cela commence à devenir problématique. Dans le domaine de l’aviation, par exemple, Dassault sait fabriquer un Rafale, les Américains savent fabriquer le F 35, les Russes le Soukhoï et un consortium de pays européens fabrique l’Eurofighter Typhoon. Ce sont des avions qui sont pour la plupart très bons et, dans ce contexte, la question est de pouvoir se démarquer de ses concurrents. Ce n’est plus parce que vous avez le meilleur produit au meilleur prix que vous allez remporter plus facilement des marchés. On commence à rentrer dans un monde très concurrentiel, les rapports de force sont violents et la compétition mondiale devient terrible. Aujourd’hui, plus personne ne fait de cadeau à l’autre: je pense à l’affaire des sous-marins australiens. Ce qui m’a intéressé, c’est de définir un panorama des risques et des menaces, et de publier des recommandations. Dans cette première grande famille de risques, il y a la dépendance. C’est un sujet majeur en ce moment. Des usines Renault ont été à l’arrêt en raison de la pénurie de composants, car on a considéré que l’industrie était quelque chose de sale il y a quelques années et qu’il fallait déléguer à la Chine notre production industrielle. Depuis la crise sanitaire, nous sommes devenus complètement dépendants des Chinois. Je vais prendre un autre exemple, avec le porte-avions Charles-deGaulle. Lorsque le président Chirac a décidé de ne pas participer à la deuxième guerre du Golfe, le président Bush a décrété un embargo sur toutes les pièces détachées à destination de l’armée française. Or, cela a des conséquences sur les pièces détachées de la catapulte du porte-avions et, si vous n’avez plus de catapulte, le porte-avions devient inopérant. On pourrait aussi prendre le cas du rachat d’Alstom Energie par General Electric. On a assisté à une pression considérable sur EDF afin qu’EDF se soumette aux exigences de General Electric. Concrètement, General Electric a demandé à EDF de réduire sa responsabilité juridique en cas de défaillance d’une centrale nucléaire et ils ont également augmenté le prix de leurs pièces détachées. EDF a répondu négativement et General Electric a organisé des dizaines de grèves de maintenance. Il y a aussi la dépendance par rapport à une zone géographique et il y a la question des métaux rares qui sont présents partout dans nos composants. Enfin, il y a la dépendance par rapport au financement. Il y a un fonds d’investissement activiste, Elliott, qui a pris une faible partie du capital de l’entreprise Pernod Ricard pour faire pression sur le management de la famille Ricard. Revenons aux milliers de start-up qui se créent en France : on observe une très forte dépendance vis-à-vis des GAFAM… Il y a actuellement un projet de cloud européen et tout est fait pour torpiller ce projet de souveraineté européenne. Un grand nombre d’entreprises françaises stockent leurs données sur des serveurs américains, comme Amazon, Microsoft ou Google. Ce qui pose problème, c’est que ces serveurs américains sont soumis à la loi américaine et, lorsqu’elle reçoit une injonction de la justice américaine, l’entreprise est obligée de livrer les données de son client à la justice américaine, parfois sans avoir à prévenir son client. Récemment, un responsable de la sécurité des données de Microsoft a évoqué le fait que, dans un grand nombre de cas, la justice américaine demande à avoir accès aux données d’une entreprise, sans que Microsoft puisse prévenir ses clients. Il faut mettre en garde les entrepreneurs quand ils répondent à un appel d’offres La guerre économique passe aussi par de faux recrutements et de faux appels d’offres… Je vais commencer d’une manière douce, en prenant l’exemple des théâtres. Vous avez des théâtres qui auditent des troupes d’artistes et qui lancent un appel d’offres pour une représentation. Le responsable prend des notes sur les idées originales du metteur en scène, sans donner suite. Pourtant, les responsables de ces troupes ont investi du temps et de l’argent. Et l’on s’aperçoit ensuite que les théâtres construisent leur propre programme artistique en copiant les idées des autres. Je commence de manière douce... On peut aller plus loin. En 2008, la Chine a lancé un appel d’offres pour des trains à grande vitesse et plusieurs grands acteurs européens ont répondu. Un premier mémoire a été demandé, avec des informations techniques, et les Chinois ont lancé un deuxième tour de table en demandant davantage de précisions techniques. C’était un appel d’offres considérable et les Chinois n’ont pas donné suite. Ils ont gardé les mémoires, avec les informations techniques, et ils ont décidé de construire le train eux-mêmes. Maintenant, ce sont eux qui exportent des trains... Il faut donc mettre en garde les entrepreneurs quand ils répondent à un appel d’offres, afin d’éviter les transferts de technologie. À partir de 200 millions de dollars de contrats, les entreprises françaises vont être systématiquement espionnées Mais n’est-ce pas humain ? L’intelligence économique, c’est aussi lorsque le patron d’un restaurant se renseigne sur son concurrent, sur ses recettes, ses prix, ses achats… Cela existe depuis la nuit des temps… Le problème, c’est que cela crée un chômage de masse. À force de perdre des appels d’offres, cela entraîne beaucoup de chômage. Il y a aussi la question de la réputation. Pour nuire à l’image d’une entreprise. Il faut se pencher sur les lois extraterritoriales, mais aussi sur les connexions humaines. C’est un domaine très large et très complexe, et il est nécessaire de l’aborder avec une vue aérienne. C’est une guerre économique, cela ne fait pas de morts en apparence, mais cela fait des chômeurs en masse. En ce

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