La Baule+

la baule+ 12 // Janvier 2022 La Baule + : On nous a vanté la mondialisation en nous expliquant que nous vivrions tous heureux dans un monde où les frontières seraient gommées. Or, nous nous situons à la fin de cet épisode, car l’histoire des États et des civilisations va se poursuivre… Roland Lombardi : Le titre peut être trompeur, parce qu’il a plusieurs sens. C’est un contre-pied au livre de Francis Fukuyama, qui annonçait dans les années 90 l’avènement d’un monde ouvert après la chute de l’URSS, avec une économie de marché généralisée, bref le monde des bisounours, et l’on s’aperçoit que nous sommes dans une phase de l’histoire humaine qui est à l’opposé de ces prédictions. Nous entrons dans une ère qui n’est pas du tout celle que beaucoup espéraient, c’est-à-dire celle d’une mondialisation heureuse et sans frontières : c’est tout le contraire, avec un retour des frontières, des intégrismes religieux, mais aussi des empires, notamment avec la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Les Européens rêvaient d’une mondialisation heureuse, comme des herbivores au milieu de grands carnivores dans le grand panel des nations. Ainsi, les Européens sont les grands cocus de l’histoire… On le voit dans tous les dossiers. L’Europe est encore un géant économique, mais c’est un nain géopolitique et ce n’est pas de bon augure pour l’avenir de l’Occident. On est dans le déni absolu de la réalité mondiale Votre constat est partagé dans le monde entier, sauf en Europe, tout particulièrement en France, avec une majorité de la population qui s’imagine que ce sont les autres qui sont des marginaux… C’est tout le paradoxe. Si l’on met dans l’Occident les États-Unis et l’Europe, c’est une infime partie de la population mondiale. Mais en Europe, c’est encore plus particulier, on se définit comme étant l’axe du bien face à des prédateurs qui sont des marginaux qui vont dans le sens contraire de l’histoire. Je ne crois pas au sens de l’histoire. C’est une vieille idée pour essayer de faire croire que l’histoire a un sens, mais ce n’est pas le cas et il suffit de quelques personnes pour changer le cours des événements et des relations humaines. En Europe, les élites progressistes sont au pouvoir un peu partout et c’est un discours qu’elles ne veulent pas entendre. Comme dans beaucoup d’autres domaines, on est dans le déni absolu de la réalité mondiale. Il suffit de voyager pour s’en apercevoir, ou d’être un bon observateur de l’actualité et des relations internationales. Prenons l’exemple de Joe Biden qui tient un discours en se faisant passer pour un herbivore. Il demande aux autres de se comporter comme tels, or c’est un carnivore lorsqu’il est chez lui… Cela signifie que les États-Unis prônent le libre-échangisme, mais sont très protectionnistes… Les Américains sont moins angéliques que les Européens, notamment les démocrates et les idéologues qui sont autour de Joe Biden. Ils tiennent des discours moralisateurs et très progressistes, mais leur politique est basé sur le réalisme. Dans les discours, ils sont dans les droits de l’homme et le moralisme permanent mais, dans les faits, ils ont toujours à l’esprit la volonté de défendre leurs propres intérêts. C’est finalement un discours qui permet d’affaiblir l’ennemi… Les Russes et les Chinois sont méfiants, ils ont compris le jeu des Américains. Mais pas les Européens. On croit encore à la protection américaine pour l’éternité. On croit que l’Amérique va sauver le monde, mais on a bien vu avec l’affaire des sous-marins australiens qu’ils savent être des carnivores quand il s’agit de défendre leurs propres intérêts... On a pu mettre un couvercle sur les mouvements sociaux qui ont traversé toute la planète en 2019 En ce qui concerne la pandémie, vous évoquez les thèses de Klaus Schwab sur la réinitialisation de l’économie mondiale et l’on devine aussi une guerre invisible autour de cette question… Je ne veux pas jouer au complotiste de bas étage, mais l’on s’aperçoit que ce qui se passe depuis deux ans a plus de conséquences qu’on ne l’imaginait. Les angélistes croyaient que cela allait changer le monde de façon positive, mais ce n’est pas du tout ce qui se passe. Cette pandémie a été une formidable opportunité pour des groupes financiers et pharmaceutiques et pour les politiques qui ont pu mettre, derrière cette question sanitaire, une surveillance beaucoup plus accrue des populations, en entretenant la peur qui paralyse toujours les peuples. On a pu mettre un couvercle sur les mouvements sociaux qui ont traversé toute la planète en 2019 et l’on a pu aussi contrecarrer la colère des territoires périphériques. On a bien vu qu’il y a eu, il y a deux ans, des manifestations de type Gilets jaunes dans le monde entier et il fallait éteindre cela. Votre livre est inquiétant, parce que l’on comprend que la France s’inscrit dans une période charnière… Géopolitique ► La mondialisation est-elle en train de perdre la bataille des idées ? Roland Lombardi : « Cette pandémie a été une formidable opportunité pour des groupes financiers et pharmaceutiques et pour les politiques. » Roland Lombardi est enseignant et docteur en histoire contemporaine, spécialiste du monde arabe, des relations internationales, ainsi que des problématiques de géopolitique, de sécurité et de défense. Intervenant régulièrement dans les médias, il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman » ou « Poutine d’Arabie - Comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient ». Roland Lombardi fait le point sur les crises récentes et explique les grands bouleversements qui ont eu lieu lors des années 2019-2020. Selon lui, nous sommes à la fin de l’histoire annoncée de la mondialisation et sans doute au retour de la vraie histoire des nations souveraines. « Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? Chroniques géopolitiques (2019-2020) » de Roland Lombardi est publié chez VA Éditions.

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