La Baule+

la baule+ 6 // Avril 2022 Charles Gave : «On va rentrer dans une période de Gilets jaunes puissance 10 ! » Économie ► Le spécialiste des marchés financiers analyse les conséquences de la guerre en Ukraine Charles Gave, ancien trader, est économiste, spécialiste des marchés financiers et président de l’Institut des Libertés. Ses interventions dans les médias sont toujours très attendues, car il est connu pour ne pas manier la langue de bois. Il répond aux questions de Yannick Urrien et explique pourquoi les sanctions infligées à la Russie pourraient ne pas lui porter préjudice. Il indique par ailleurs que la hausse des prix de l’énergie devrait entraîner une perte de pouvoir d’achat des Français de l’ordre de 17 % d’ici sept à dix ans. La Baule + : On vous entend beaucoup vous exprimer dans les médias en ce moment. Vous considérez que cette affaire de sanctions à l’encontre de la Russie n’est pas à notre avantage et vous êtes donc inquiet pour notre avenir. Quelle est votre analyse ? Charles Gave : Il faut simplifier les choses. Tout le monde sait que nous avons en France le coût du travail le plus élevé au monde. Notre industrie est quand même assez fondée sur la voiture thermique. Nous avions l’avantage de faire des moteurs thermiques extrêmement peu polluants. On a décidé, pour des raisons un peu incompréhensibles, de passer au tout électrique pour les voitures, tout en sachant qu’une voiture électrique a un bilan carbone qui est bien moins bon que les dernières évolutions de nos moteurs. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le président de Peugeot : donc, il doit savoir de quoi il parle. On force un énorme changement de notre industrie et on la fait sortir d’un domaine où elle avait tous les avantages comparatifs, pour la faire aller dans un endroit où elle n’a plus aucun avantage comparatif, puisque cela fait dix ans que les Japonais, les Chinois et les Coréens font mieux que nous. Autre inconvénient, nous sommes sans doute la région du monde où les industriels sont les plus réglementés, à un point qui dépasse l’entendement. Ils ne peuvent pas faire un pas de côté sans demander la permission. Maintenant, nous allons avoir l’énergie la plus chère du monde. Nous avions une énergie qui était relativement bon marché, que l’on achetait à la Russie avec des contrats à long terme, qui n’ont plus lieu d’être, et nous allons nous retrouver avec une énergie qu’il faudra acheter sur le marché au comptant, c’est-à-dire pour à peu près 40 % de plus. Donc, on va se retrouver dans un monde absolument dramatique. Tout le monde dit qu’il faut réindustrialiser, mais on va désindustrialiser comme on ne l’a jamais fait dans notre histoire. Cela va être un vrai bain de sang. Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas inquiet pour notre industrie française. La Russie va maintenant être le pays où l’énergie sera la moins chère au monde C’est ce qui nous concerne. Maintenant, on veut faire du mal à la Russie. Toutefois, on a pu constater, après l’effondrement de laBourse de Moscou, qu’elle enregistre de très fortes hausses. Comment expliquez-vous cela ? Cela ne me surprend pas. La Russie est un pays qui a des comptes courants excédentaires, c’est-à-dire qu’ils vendent plus à l’étranger qu’ils n’achètent à l’étranger. La Russie n’a pas de dette intérieure, les équilibres budgétaires sont respectés. Il n’y a pas de dette extérieure. Ils sont auto-suffisants sur le plan énergétique. Maintenant, ils vont vendre leur énergie à des nouveaux clients, beaucoup plus cher qu’auparavant. Nous sommes dans une crise énergétique considérable, sur laquelle j’écris beaucoup depuis trois ans, parce que l’on a cessé de faire des recherches dans le domaine des énergies fossiles depuis dix ans, pour faire des moulins à vent et des miroirs magiques... Mais aujourd’hui, dans le monde entier, 80 % de la dépense énergétique est faite dans des énergies fossiles. Donc, ce que l’on a fait n’a servi strictement à rien. Comme l’économie ce n’est que de l’énergie transformée, la Russie va maintenant être le pays où l’énergie sera la moins chère au monde. Dans ce contexte, préférez-vous avoir vos actions en Russie ou en France ? Nous sommes affaiblis parce que nous sommes gouvernés par des imbéciles Ce qui est effarant, dans votre explication, c’est que nous avons cru assommer la Russie, or elle se retrouve encore plus forte… Nous sommes affaiblis parce que nous sommes gouvernés par des imbéciles. Le général de Gaulle disait que gouverner ce n’est pas choisir entre une bonne et une mauvaise décision, mais choisir entre deux mauvaises décisions. Comme ces gens sont persuadés qu’ils représentent le camp du bien et que les autres représentent le camp du mal, ils pensent que le camp du bien va l’emporter à tous les coups. Ils n’ont aucune notion historique. Il y a de nombreux cas où le camp du mal l’emporte. Cela me paraît complètement fou de penser que, parce que l’on estime que l’on a raison, on va gagner automatiquement. Les Polonais, en 1940, ils avaient raison, mais ils ont pris une branlée. Et les Français aussi. Toute l’Afrique du Nord et une grande partie de l’Afrique Noire vont se retrouver avec des pénuries de blé monstrueuses Emmanuel Macron a clairement évoqué une grave crise alimentaire au niveau mondial… C’est simple, 40 % des exportations mondiales de blé viennent de l’Ukraine ou de la Russie. J’imagine que les récoltes en Ukraine ne vont pas être très faciles cette année… Ils ne vont pas pouvoir beaucoup exporter, puisque leurs ports sont occupés. Quant à la Russie, si l’on continue à bien lui casser les pieds, elle ne va pas beaucoup exporter vers chez nous. Ce qui veut dire que les pays qui sont des grands importateurs de blé, toute l’Afrique du Nord et une grande partie de l’Afrique Noire, vont se retrouver avec des pénuries de blé monstrueuses. Toutes les grandes crises économiques, depuis des siècles et des siècles, se sont toujours produites quand il y avait des pénuries de blé. La Révolution de 1789 s’est déroulée parce qu’il y a eu trois récoltes abominables dans le domaine du blé. Tout cela est tout à fait étonnant, d’autant plus que cela fait huit ans, depuis le coup d’État de Maïdan, que le président russe disait aux gens : « On tire sur des Russes dans le Donbass, il y a une guerre civile larvée, j’aimerais bien qu’on règle le problème de l’Ukraine et que l’on s’y mette tous ensemble ». On avait signé des accords à Minsk, dans lesquels on

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