La Baule+

la baule+ 24 // Août 2022 Humeur ► Le billet de Dominique Labarrière En voie d’extinction… Robert Koch, prix Nobel de médecine en 1905 pour la découverte de son célèbre bacille, prophétisait en son temps: « Un jour, l’humanité devra combattre le bruit avec autant de férocité que le choléra ou la peste. » Cette citation, qui avait de quoi surprendre à l’époque, m’est revenue à l’esprit après avoir assisté au tintamarre des députés à l’Assemblée nationale, à moins que ce ne soit pour avoir subi un après-midi entier les aboiements d’un malheureux chien que ses maîtres, partis à la plage, avaient abandonné dans le jardin de leur villa. À moins encore que ce ne soit pour avoir connu le bonheur d’entendre vociférer et s’ébattre des barboteurs de Jacuzzi macérant dans leur jus de la tombée de la nuit aux premiers feux de l’aurore. Je ne sais plus. En tout cas, pour une fois l’échappement libre de la pétrolette d’un gentil voisin n’y est pour rien. La pétrolette, on la lui a volée la semaine dernière. Le méfait a été perpétré en douceur. Et sans bruit. C’est déjà cela. Coïncidence intéressante, ces jours-ci une étude américaine conduite par d’éminents bioacousticiens a été portée à la connaissance du public. Elle n’a pas fait beaucoup de bruit et pourtant ce qu’elle révèle est de première importance. Partout dans le monde, jusque dans les endroits les plus reculés de la planète, le silence est en voie d’extinction. En tout lieu, en permanence, une production sonore d’origine humaine parviendrait à troubler le calme originel, porteur de ce qu’on pourrait appeler le chant du monde. Oui, partout, du plus lointain de l’espace au fin fond des abysses des océans, des bruits, des ondes, des vibrations électromagnétiques ou autres viennent couvrir, perturber ou dénaturer le murmure vital, la respiration organique, végétale, animale de la Terre. L’homme a submergé la planète et le vivant de ses bruits. On n’entend plus que lui. Conséquence dommageable, il est devenu sourd au silence. Le silence, cette ressource naturelle tellement indispensable à la paix intérieure, à la sérénité, à l’harmonie, à la réflexion. Il y a eu l’âge de pierre, l’âge du fer, l’âge du bronze, nous en sommes à l’âge du bruit. Dans le même temps - là encore la coïncidence ne manque pas d’intérêt - d’autres études tendent à montrer que nous avons non seulement aboli le silence, mais également l’obscurité. De l’espace - où là aussi nous exportons allègrement du décibel - on constate que la planète Terre est constamment éclairée. Elle brille de mille et mille feux artificiels. Jamais elle ne s’éteint. C’est à peine, si, du fait du décalage horaire, l’alternance jour-nuit est observable. Tout se passe comme si l’homme, ce grand enfant, s’était employé à conjurer ses frayeurs puériles : la peur du noir et celle du silence. Silence et ténèbres : vous allez rire, sans doute, mais ne seraient-ce pas là les deux attributs cardinaux de la mort ? Voilà ce qui, symboliquement, aurait été vaincu ? Voir. Donc, l’homme fait du bruit. Cela le rassure. Il fait du bruit au point d’en être victime. À force de se trouver confronté à une présence sonore pratiquement ininterrompue et excessive, il verrait ses facultés cognitives, ses capacités d’attention, de concentration, considérablement altérées. Le bruit serait donc, à terme, un dangereux facteur de crétinisation de l’espèce. Remarquez, une fois qu’on sait cela, on comprend mieux un certain nombre de choses. Tout devient clair. Le bruit est évidemment ce qui fait parasite entre soi et soi, ce qui, d’une certaine manière, conjure la solitude. Il est ce qui occupe le cerveau et dispense d’avoir à se débrouiller seul - de soi à soi - pour se meubler l’esprit. Il est, enfin, la drogue légale et universelle de l’homme moderne. Celui-ci ne saurait plus s’en passer. On connaît l’injonction maintes fois proférée : « Faites moins de bruit, on ne s’entend plus penser ! » Elle dit vrai, mais comme il y a peu de chance que nous consentions à renoncer à nos chers tapages, le plus simple ne serait-il pas de nous évertuer à ne pas penser ? Au vu du niveau du bac actuel, l’école à la française est en train de préparer des générations entières parfaitement armées pour y parvenir. Dominique Labarrière dédicacera son nouveau livre « Des femmes qui ont inventé notre temps», le vendredi 12 août à la Maison de la Presse de La Baule, avenue de Lattre de Tassigny, entre 10h et 13h. Mots fléchés (Solutions page 43)

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